Rêver de réparer l’histoire…

Maria Landau présente l'ouvrage de Jean-Jacques Moscovitz

Paru dans la collection Le Regard Qui Bat chez Èrès - + d'infos ici

Ce titre, merveilleusement poétique, fait appel à la psychanalyse car le rêve est pour le psychanalyste et pour l’analysant , la matière même de la cure et au cinéma , les films sont des rêves que s’offrent les cinéphiles dans des salles obscures. En 1900, changement de siècle, les premières images du cinéma apparaissent et c’est la date de parution de livre créateur de la Psychanalyse:

"La Science du Rêve", livre auquel Freud reviendra souvent pour le compléter et l’améliorer. Le titre de livre de Jean-Jacques Moscovitz "Rêver de réparer l’histoire" convoque le cinéma, qui depuis l’origine jusqu’à présent a inclus dans ses tournage et dans ses montages des séquences oniriques, projetées dans la nuit des salles de cinéma.

Le cinéma est l’art et la culture du XXème et XXIème siècle, les cinéastes sont des artistes qui subliment leurs pulsions et leurs désirs inconscients en réalisant leurs films, souvent avec les plus grandes difficultés. Ils transmettent les traces de l’actuel inscrites dans leur inconscient et dans les métaphores de leur langue, les traumatismes de leurs histoires, dans notre Histoire. Les témoins et même les témoins des témoins disparaissent et ce sont les artistes qui dans ce troisième temps de la transmission, la culture, le cinéma, nous adressent leur témoignages. C’est cela que reprend d’une façon très complète et nouvelle, le livre de J-J. Moscovitz. Il convoque 77 films, et expose son rêve. Ces films vont, projet "admirable", pouvoir réparer la transmission et l’Histoire mise à mal et détruite par la Shoah, ils vont poser la question du Bien et du Mal, et la question, sans réponse, du Pourquoi.

Devons nous comme l’écrivain, prix Nobel, Imre Kertesz, le soutient dans son livre "L’Holocauste comme Culture": après l’écroulement de 2000 ans de civilisation judéo-chrétienne, penser que l’holocauste est désormais notre culture , on ne peut en parler au passé , c’est notre présent. Peut-on rêver de réparer ou faut-il, avec la psychanalyse, et le cinéma, prendre en compte ce qui est advenu, ce réel qui c’est révélé et se battre comme c’est actuellement le cas, dans l’après-coup désastreux de l’Histoire Actuelle où resurgit crimes et théories abjectes dont nous pensions qu’elles étaient abolies.

Rêver de réparer l’histoire

Avec les 77 films qu’il évoque, il constitue une véritable filmothèque pour un cinéphile, un étudiant, un intellectuel de notre temps. C’est dans le trésor de ces films que l’on pourra trouver ce qui nous permettra de penser, d’empêcher les générations qui viennent , d’ignorer ce qui, avant leur naissances, s’est passé. On peut faire confiance aux artistes et aux psychanalystes. Encore quelques mots, à partir du chapitre cinq , le ton change. Jean-Jacques Moscovitz prend la parole, il dit ce qui a été décisif pour lui, dans son travail d’analysant, de spectateur, d’amateur de films, le film de Claude Lanzmann "Shoah" où il trouve les réponses que personne n’avait su lui dire sur ce qui c’était passé sous le nazisme, pendant la deuxième guerre mondiale, et l’occupation de la France quand il est né. Ces réponses vont lui permettre à son tour, d’entendre a parole des analysants qu’il reçoit et qui cherchent à dire l’irreprésentable. Encore faut-il que l’analyste puisse, veuille les entendre. Il y a eu une "rupture"et le discours a changé. Et les films aussi.

En 1966, Marcel Hanoun, jeune cinéaste lit les mémoires de Rudolf Hoess, commandant d’Auschwitz. Il s’enferme avec quelques amis, techniciens, comédiens et ils font un fil: "Le Procès de Carl Emmanuel Jung". C’est la fiction d’un tribunal qui juge un criminel de guerre. Le tribunal est le théâtre de l’Odéon, les acteurs jouent tous les rôles, tout est faux, mais les paroles qui racontent, le camp d’Auschwitz sont vraies : l’effet est foudroyant et lève le silence et l’oubli. "Memory of Justice " , est le procès de Nuremberg. Marcel Ophuls mêle la vie ordinaire des participants du tournage et des habitants de ville et les archives du procès . Chaque spectateur devient un véritable participant du film.

"Belzec". Guillaume Moscovitz filme le lieu, le camp, les rails , la gare, le vide. Il n’y a plus rien. On y a exterminé 600.000 personnes venues de toute l’Europe. Les gens du village ne parlent pas ou peu. Que disent les enfants qui vivent là ? Il y a aussi l’inoubliable histoire de Braha Rauffman. Qui enfant, à 7 ou 8 ans elle a été cachée dans une sorte de cave par une femme du village, Julia. Elle s’asseyait sue le rebord du soupirail et lui parlait et l’encourageait et lui apportait de la nourriture. Quand elle est sortie, elle a regardé le ciel et les étoiles et a demandé ce que c’était au milieu des villageois qui pleuraient. C’est la répétition de l’histoire de ce jeune garçon, Gaspar Hauser en Allemagne, au 17ème siècle, qui est sorti d ‘on ne sait pas où, et qui n’avait rien connu auparavant, sauf "l’homme " qui venait le voir et lui parlait.

Enfin le livre relate l’extraordinaire dialogue avec Françoise Dolto, au sujet du film " Shoah ". La psychanalyste de enfants, la petite fille chrétienne répond aux questions de Jean-Jacques Moscovitz. Elle est allée, seule, voire le film. Elle répond aux questions sur la vie et la morts, sur le bien et le mal, sur le conscient et l’inconscient. Ce sont les mots de " dignité humaine qui lui paraissent essentiel et qui ont surgi du film de Lanzmann

Rêver de réparer l’histoire, le livre où se construit notre présent, entre Histoire, Cinéma et Psychanalyse.

Maria Landau

(février 2015)