Convergencia Buenos Aires 2009

Intervention de J-J. Moscovitz

Convergencia, Mouvement Lacanien pour la Psychanalyse Freudien

IVème Congrès  International à Buenos Aires

«  L´expérience de la  psychanalyse. Le sexuel: inhibition, corps, symptôme »

Le 8, 9 et 10  mai  2009

Faculté de Droit, Université de Buenos Aires

Intervention de J-J. Moscovitz le 8 mai

« Expérience de la psychanalyse »  est-il écrit dans l’argument, soit selon moi expérience entre sens et registre du réel.

Lacan soulignait  combien  il n’était pas  nominaliste, « il ne s’agit pas de nommer le réel , disait- il, car le discours scientifique et surtout l’analytique ne trouvent ce réel qu’à ce qu’il dépende de la fonction du semblant… ».  Le discours analytique en a la charge pour dire au névrosé qu’à ne pas le savoir, en en cherchant sans cesse la prise sans en reconnaître la méprise,  rien de créatif ne peut lui arriver s’il reste du coté du sens et ainsi ne pas accéder à ce  registre du réel.

D’ou mon titre : « Corps,  sujet supposé savoir,   quelle méprise ? »

Je pars d’un exemple,  d’une rencontre, celle avec Ray Charles, dont on sait qu’il était aveugle, pianiste, chanteur. Après un récital, j’ai pu le rencontrer et ce fut un moment déconcertant, à la limite du trauma, et qui s’est terminé par un rire et une véritable rencontre. Pour me reconnaître,  il a effleuré mon corps de ses mains sans jamais me toucher, tout en dansant. Du coup je me suis mis moi-même à danser, étant sorti de la sidération du départ. Est née ainsi une sorte d’inscription dans le corps, de ce que j’appelle visage psychique, celui de l’intériorité  proprement dite perçue en l’autre où  corps et réel de l’objet se nouent en événement de parole.

Par la voix et le geste, ce fut une très belle leçon de vie, de pacte contre le « tu ne tueras point » dont parlent Levinas et aussi bien  Freud. Freud en parle en effet à propos des violences de  la pulsion et des violences de la parole. Il ne les nomme pas en termes proprement dits de violence puisqu’il utilise les termes de vie pulsionnelle  en référence à la  vie de la parole, soit à la réalité psychique…  Rappelons-nous de l’insulte envers le père de Freud où un passant  jette à terre son chapeau, ce qui du fait du silence de son père à ce moment-là, a participé sans doute à l’écriture de la Traumdeutung et a fondé sa découverte.

C’est que vie pulsionnelle et parole en conflit sont  aussi en créativité réciproques, telle qu’une  rencontre, celle très ponctuelle avec Ray Charles, crée du visage. Le regard du fait, ici, de l’absence de l’œil, est plus présent encore par ce quelque chose,  objet  petit a, déduit  dans l’entre deux présences de corps, un éprouvé de corps du fait d’un tel exil du regard au registre sensoriel qui d’ordinaire permet de poser un regard.

Dire expérience de corps dans l’analyse, c’est celui de l’autre comme lieu de l’Autre qui interpelle l’analysant. Ici donc supposition de savoir et  promesse de sujet convoquent leur méprise, celle du transfert. Avec Ray Charles cette méprise, propre au semblant était quasi palpable dans ce moment que je relate.  Cet exil de l’œil fait surgir un visage, ce lieu du corps qui est parole, c’est la parole.

Exemple de l’enfant infans qui sans sourciller fixe  un regard vers l’adulte qui, lui,  est alors saisi d’une sorte de paix à le lui rendre, mais souvent avec gêne et aussi avec joie.

Là aussi le semblant inhérent au parlêtre  est quasi palpable, il est éclairage déjà là des  paroles à venir, soit de la castration symbolique propre au mot, au vide dans le mot, vide autour de quoi le semblant fait méprise.

Je me suis dit dans ce mutuel frôlement dansant avec Ray Charles, que c’était comme s’il me lisait …  et cela m’a rappelé Huo da Tong, lors de l’une des ses venues à Psychanalyse actuelle, quand il avait évoqué combien l’enfant parlant avec ses mains aurait permis en partie la naissance e l’écriture chinoise. 

Comme un joke  peut–être, paraphrasons  le 1er énoncé dans  L’étourdit   :

1° qu’on dise , c’est qu’on danse

2° reste oublié, voilà le non su renvoyant au gestuel  inscrit dans le corps,

3° derrière ce qui se dit, c’est à dire produit du dit et aussi de la lettre 4°dans ce qui s'entend , dans ce qui se bruite, se fait bruit  et  musique ….

Donc dimension de lettre et du corps, et cela  non sans angoisse. Ainsi l’exemple du  tournant dans sa cure chez un écrivain, qui dit Je suis l’auteur de la castration de ma mère et le phallus castré. Il accède là à ce point de semblant qui cerne un réel. Clinique propre à l’acte d’écrire de l’écrivain,  qui dit,  pas sans une angoisse terrébrante « Jusqu’à présent, je n’arrivais plus à écrire vraiment. Parlé par ma mère : j’écrivais un texte mais il sonnait faux. C’était une écriture sans création, une répétition des textes précédents. « Pour la première fois, dit-il, j’ai eu l’impression que l’inconscient écrivait, pour ainsi dire, avant moi, et pour aller plus vite encore, il m’a suggéré l’acronyme  HMMM qui m’a fait venir faire mon analyse. Il écrit cela avec une apostrophe entre a et m du mot amour  Hacher a’Mour Ma Mère.   Il use de la lalangue en produisant une  telle siglaison qui fait bloc et lien à l’angoisse comme sensation de l’existence de l’Autre, avec son grand A.

Angoisse et corps, une citation de Lacan   du séminaire L’angoisse, séance du 8 mai 1963) »  d’il y a 46 ANS  jour pour jour : « Il y а toujours dans le corps, et du fait même de cet engagement de la dialectique signifiante, quelque chose de séparé, quelque chose de statufié, quelque chose de, dès lors, inerte, qu'il у а la livre de chair . Livre de chair qui ouvre à la présence de la dette et de l’objet. dans des analyses où existe quelque chose d’exilé du corps, que l’expérience psychanalytique permet non pas de récupérer mais d’indiquer,  de faire index,  celle d’une anse sur le réel.  En particulier, je veux parler de ceux dont le corps devient ennemi du sujet, corps des celles et de ceux  atteints de maladie grave an cours de leur analyse ou qui viennent les 1ères  fois pour cela.   

Dans des analyses en cours le corps devient ennemi du sujet. On voit cela aussi en chirurgie esthétique  chez des femmes d’un certain age  au visage refait par des virtuoses, chirurgiens ou  dermatologues, où le botox concrétise le phallus dans le réel…  Souvent après ce traitement esthétique apparaît une demande d’analyse. Bon nombre de nos collègues femmes en savent quelque chose, après l’opération vont-elles ou pas  faire une tranche ?   c’est le mot qui convient. Ma question concerne le semblant, le vide dans le mot  bouché ou non par le botox pour être toujours belles ? peut-être vont elles nous en parler…

Il y a là une  question : Que la beauté accède au visage de mon prochain, de ma prochaine, est ce parce qu’il re-naît sans cesse d’être habité par la parole. Afin jour à jour d’être un peu plus artiste de sa vie… ? c’est un des vrai résultat de l’expérience d’une psychanalyse personnelle coté corps à en lever quelque inhibition, quel que soit l’âge.

On reproche à le psychanalyse de ne pas tenir compte  du corps. Certes l’analyste ne se certifie pas dans son acte de par son corps , car ce lieu du corps est de l’ordre de la supposition, lieu supposé de jouissance,      telle qu’il y a là  promesse de signifiant, mettant  le sujet en perspective , soit  ce qui est  équivalent à une  « valeur jouissante du signifiant »  où s’ouvre ici un écart, une différence.

Ecart entre singulier et collectif, entre sujet et politique.

Au niveau du politique, qu’en est il en effet  du corps dans l’histoire européenne,  l’histoire face à la structure. Je rappelle ici  l’écho de Lacan donné à James Joyce en 1975 :

« L’histoire n’étant rien de plus qu’une fuite, dont ne se racontent que des exodes. (…). Ne participent à l’histoire que les déportés : puisque l’homme a un corps, c’est par le corps qu’on l’a. Envers de l’habeas corpus.

Relisez l’histoire : c’est tout ce qui s’y lit de vrai. Ceux qui croient faire cause dans son remue-ménage sont eux aussi des déplacés sans doute d’un exil qu’ils ont délibéré, mais de s’en faire escabeau les aveugle… »

Ce «dispose de ton corps», habeas corpus, a trait à nos travaux puisque c’est le principe général de la liberté individuelle, la libre disposition par le citoyen de sa personne et de ses biens et ce depuis la grande Charte anglaise de 1215 puis codifiée par le révolution française et les droits de l’homme tant mis à mal au XXe siècle

Au niveau du sujet c’est d’équivoque signifiante dont il s’agit car c’est bien le meilleur chemin vers l’inconscient dans la cure, soit d’aller batailler contre le symptôme, contre la jouissance phallique, « ce parasite parolier ». Et cela  par rapport à la fonction poétique réévaluée par Lacan dans l’écriture non alphabétique du discours psychanalytique.

L’argument de notre Congrès indique que fonction poétique et pratique de la lalangue participent  du corps parlant.  Je veux dire que  la clinique  psychanalytique est une clinique de la bribe de mot tel que le chant et le poème l’évoquent, là où se jouxtent, propre à la  texture poétique de l’inconscient,  équivoque et corps parlant.

Sinon, sans ces croisements-là, se produit une chute de la fiabilité de l’humain parlant, ce qui nous convoque alors au vacarme et aux violences du monde dont nous sommes de plus en plus témoins actifs à accepter de les entendre comme analyste malgré le trop de sens. Et où surgit un « à quoi bon alors la métaphore », s’il y a risque majeur de chute de l’équivocité, où, en même temps que « le réel pâtit du signifiant », surgit aussi le contraire, quand le signifiant pâtit du réel. 

D’où les appels aux artistes et aux psychanalystes, à celles et à ceux qui sont accrochés à la parole, afin qu’il y ait du « parlêtre » équivalent à l’inconscient,  comme si on pouvait veiller à ce qui peut arriver à l’équivocité signifiante.

J.-J. Moscovitz