Mai 68, neuropsychiatrie, conflits entre classes, entre les générations et luttes armées[1]

Par Jean-Jacques Moscovitz

Des faits mineurs en Hôpital Psychiatrique font écho à une mise en question trans-générationnelle comme index d’une certaine porosité allant en s’amplifiant entre sujet et collectif. Cella nécessite de redéfinir avec Lacan la psychanalyse, par l’abord de l’acte analytique entre lieu de l’Autre et les autres, nos semblables… Un abord des révoltes étudiantes de Mai 68 ont des effets politiques et, sociaux bénéfiques, mais, aussi des violences planétaires ayant cours jusqu’à nos jours. Ce qui suppose un repérage des filiations de telles violences, des jouissances et leurs sublimations possibles .

-i-

SEPARATION ENTRE NEUROLOGIE ET PSYCHIATRIE

« Les infirmières elles sont à nous, les malades elles sont a toi », est une anecdote personnelle, qui ouvre mon propos car il résume selon moi ce qui est arrivé en mai 68, dans cette révolte étudiante des futurs psychiatres. C’était à l’époque où n’était pas encore instaurée la mixité du métier d’infirmier. C’est un exemple de lutte des classes indicée à la lutte entre les générations, où les manquements de la génération d’avant sont dévoilés, critiqués très fortement parfois. Le rapport à la folie a pour fond la séparation entre neurologie et psychiatrie pour libérer la maladie mentale du biologique, notamment par la psychanalyse entre autres disciplines.

A cette époque, la plupart des internes et des étudiants en neuro-psychiatrie sont en analyse et, oeuvrent au refus du tout biologique, de l’organicité de la maladie mentale, alors que les chefs de service dans les hôpitaux psychiatriques n’étaient pas en analyse, ou fort peu en tous cas. Ils sont en lutte en tant que médecins des asiles d’aliénés pour faire reconnaître leur combat contre l’aliénation sociale des « fous » .

Et pourtant aujourd’hui, le tout biologique est tout puissant…bien qu’ayant fait des avancées indéniables en neurologie cérébrale.

Revenons à mon anecdote : nous sommes vers juillet 1968, les grèves battent leur plein.

Un matin dans le service où j'étais interne je raconte aux infirmières présentes ce qu’il s’est passé pendant la nuit avec ces manifs que nous prenions à la rigolade. La surveillante du service appelle le piquet de grève à l'entrée de l'hôpital Paul Guiraud à Villejuif .

Et me voilà en face de huit grévistes bien décidés à me faire la leçon et me lancent donc cette phrase qui me laisse pantois. Il me pousse fermement vers le fond du bureau tel Allen Lade dans le film L’homme des Vallées Perdues de 1953 de George Stevens où le héros évite de justesse la raclée qui le met au pas…

La situation de mai 68 aujourd’hui comme alors s’évoque dans ce virage des luttes de classes vers le geste de classer les luttes : la lutte des classes et ensuite et surtout à l'époque nommée d’une date désormais, Mai 68, l'événementiel générationnel qui ne cessera pas de sitôt dans ses effets actuels. Et bien sûr dans la séparation entre neurologie et psychiatrie.

Dans les années 70, on obtiendra le résultat d’inscrire la psychiatrie au champ médical dans sa totalité alors qu’aujourd'hui les conséquences sont souvent négatives. Mais nous étions jeunes et avions à nous situer en tant que tels au niveau institutionnel et politique des HP, des asiles d’aliénés pour continuer autant que faire se pouvait, l’œuvre émancipatrice de Pinel, Cabanis et autres, du statut des fous rejetés violemment par le société.

Une anecdote encore comme signe de l’ambiance de révolte en train de s’organiser. Nous étions sept amis, internes très décidés à en découdre avec l’autorité. Tel St Just explicitant la Révolution Française, nous voulions formuler notre révolte contre le discours médical officiel, hostile à une mise en question de l’organicité de la folie. C’est à dire de ne voir dans le trouble psychique quel qu’il soit, qu’une cause lésionnelle de notre système nerveux. S’affrontaient tout comme aujourd’hui, la maladie mentale interprétée par l’organogénése du discours officiel, la sociogénése des discours des communistes et des socialistes, et la psychogénése par les tenants de la psychanalyse.

Certes les trois approches méritent d’être modulées ensemble… C‘est évident.

Mais la mise en avant du politique caractérisait nos élans , nos discours publics , surtout celui de Jean Losserand[2], ils avaient lieu à la Chapelle Ste Anne, espace habituel pour des conférences.

Nous nous appuyions sur Michael Bakoounine, le, théoricien de l’anarchisme contre l’Etat… Et nous voilà un jour en expédition pour aller (presque) prendre les fonds du service de la comptabilité de l’Hôpital… Les CRS, sont intervenus à l’intérieur de Ste Anne très exceptionnellement pour stopper une telle velléité de carabins profitant du situationnisme d’alors.

Ainsi, autre anecdote encore, tout aussi significative que les précédentes sur la lutte des générations : par notre excès d’enthousiasme nous exigions du directeur de l’Hôpital de Villejuif de nous passer les commandes de l’HP !

Cette exigence et l’action du piquet de grève se traduisirent par une accusation envers moi de vouloir « tuer le directeur de l’hôpital à la …mitraillette » ! Et d’être accueilli par des patients dans un hôpital de jour dans Paris dépendant de l’Hôpital, par les quolibets sur mon nom, genre « moscovitch/anarchiste ! ». La transmission de mes « méfaits » avait été effectuée par l’ambiance de collectiviser nombre des propos des uns et des autres. En créant des rumeurs invraisemblables…. Et des violences sous-jacentes….

De fait des 1950 le Syndicat des Médecins des HP avait souhaité la séparation de la neuro-psychiatrie en deux spécialités distinctes et cela au plan scientifique. Notons que le Parti Communiste Français soutenait plutôt une sociogénèse de la maladie mentale selon le discours de Staline en opposition à la psychanalyse. Maurice Parienté, l’un de mes chefs de service nous en témoignait car il avait suivi cette consigne de choisir la lutte des classes et le PCF et non pas de choisir la psychanalyse.

La séparation épistémologique entre neurologie et psychiatrie en a reçu l’impact.

Début 1968 j’étais sur le point de m'inscrire au PCF, car ceux auprès de qui je me formais étaient Bonafé, Le Guillant, Parienté, et d'autres, étaient communistes ou sympathisants.

En salle de garde un de nos enjeux était la guerre du Vietnam avec les comités « Vietnam de base » auxquels nous appartenions en grande majorité, et avec ceux qui se situaient pour le Vietnam du Sud, nous en venions parfois aux mains.

En avril 68, oui juste avant Mai, j’étais sur la voie de m’inscrire. Mais les fulgurances de Mai 68 et désarroi et enthousiasme qui s’en sont suivis m’y ont fait renoncé. De plus l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’URSS et l’exil de Dubchek ont joué pour beaucoup d’aller vers le situationnisme. Un ressenti d’orphelin était apparu et faisait tâche d’huile, avec un sentiment de perte irréparable.

En même temps j'ai présenté dans différentes revues notamment L’Evolution Psychiatrique dirigée par Henti Ey, un travail débuté en 1966 jusqu'à fin 1968 sur les Conducteurs Roulants de la SNCF. Ce qui est devenu le sujet de ma thèse de médecine.

Là je dois dire qu’à ce moment, neurologie et psychiatrie étaient déjà bien séparées car les professeurs de médecine qui me guidaient, dans ma thèse avant Mai 68, étaient très opposés envers mes élaborations, en me demandant par exemple de repérer les lésions psycho-organiques allant contre ma méthode d'écoute psychiatrique et déjà psychanalytique, que j’avais adoptée, pour les Roulants de la SNCF. Mon jury voyait au mieux une possible application de la psychothérapie institutionnelle qu’il n’acceptait pas, notamment l’aspect politique. Nous sommes en 1966/67.

Mais après Mai 68 leur ton change, ils acceptaient mon propos.

L’objet de ma thèse était la mise en avant de la fatigue, mais surtout la solitude du Roulant. Car si dans la Lison de Zola ils sont 5 au charbon, l’équipe passe en 1966… à un seul Roulant, tout seul dans sa cabine. D’où il doit donner les signes qu’il est vivant en pressant un cerclo toutes les 55’’, sinon le train bloque les freins et bonjour les fracas chez les voyageurs .

Je concluais ma thèse en donnant un traitement adéquat, formulé ainsi le 14 novembre 1968 devant mon jury de thèse et adressé aux Roulants : faites la Révolution….

D’où encore une anecdote concomitante sur la séparation entre neurologie et psychiatrie, soit l’usage des électroencéphalogrammes prônés par des Pr de Médecine, qui avait été pratiqués à la Salpétrière sur les Roulants qui y étaient allés avant de me rencontrer. Il s’agissait de mesurer leur effets négatifs du maniement du cerclo nommé selon l’acronyme VACMA ( veille automatique de contrôle par maintien d’appui).

Mais les comptes rendus témoignaient mal de leur état de fatigue, c’était pour moi comme une farce. Car les EEG n’étaient que le signe de l’aliénation à une médecine périmée devant les problèmes sociaux et politiques des années qui arrivaient. Les Roulants de la SNCF conduisaient en ayant des électrodes sous un béret nécessaires pour les enregistrements, mais les résultats des EEG dénotaient simplement l'usage excessif du café et de somnifères…

Car il leur était prescrit du café pour conduire deux heures et de l’iménoctal pour dormir deux heures dans les transats des baraques installées sur les quais. Les résultats montraient une sorte d'affolement du tracé électrique qui ne signifiait aucune pathologie.

Pourtant les cheminots membres de la CGT, de la CFDT, la plupart communistes étaient convaincus de la justesse de cette méthode diagnostique médico-scientifique. Et leur désarroi fut terrible lorsqu’ils sont venus à la Sorbonne courant 1968 apprendre que le système de surveillance français du conducteur était adopté par l’URSS.

Les psychanalystes et psychanalysants voulaient pour le plupart séparer la psychiatrie de la neurologie, malgré le piège que personne ne percevait. Où l’on se retrouve aujourd’hui en donnant les coudées franches au tout biologique, DSM, aux CHU, à l’impérialisme médical, etc .

Car faire de la psychiatrie une spécialité comme la cardiologie ou la pneumologie était une très mauvaise piste . Malgré la psychiatrie de liaison , Basaglia , Cooper etc .

Car maintenir la psychiatrie dans le neuropsychiatrie aurait permis une sorte de séparation de facto sans mettre la maladie mentale comme objet isolable telle une attaque cardiaque… Paradoxal en apparence de laisser le praticien des asiles agir son savoir sous le couvert de la médecine aurait été encore longtemps préférable plutôt que d’isoler ce savoir dans une spécialité aussi différente que la dermatologie, la gastro-entérologie etc.

Disons que pour les spécialités médicales reconnues, c est l’approche surtout par le visuel qui domine, alors que pour la psychiatrie, c’est l’écoute qui méne le jeu, et d’autant plus pour la psychanalyse.

Le tout biologique, voire plus, était très présent dans les propos qui fusaient dans les Salles de Garde parmi les Patrons, Assistants, et Internes des HP… Ceux non encore ou à jamais sensibilisés à la pensée de Freud. Tantôt c’était donc un collègue qui partait à New-York chercher une preuve biologique du diagnostic de schizophrènie par l’existence d’un anneau vert (sic) dans l’urine des malades. Tantôt un autre collègue voulait assister à une décollation par la guillotine pour apercevoir l’âme du condamné partir vers le ciel ou l’enfer. Le visuel comme opérateur y règne en maître.

C’était contre cela que les psychiatres en analyse et le psychanalystes se révoltaient et construisaient la séparation pour laisser à la folie, aux folies, la possibilité de s’inscrire dans la littérature, l’art, la psychanalyse et ne pas la cloisonner toujours plus dans dans les habits de maladies organiques.

En même temps se soutenait une attaque permanente contre l’impérialisme du discours médical lui-même. Genre : si vous n’osez pas faire la Révolution, demandez du valium à votre médecin. ( cité in bulletin Tankonalasanté par exemple).

Le point important à redire ici en effet, c'est que nous étions nombreux en analyse contrairement à nos « patrons ». Le transgénérationnel prenait là tout son essor car ils étaient dépassés par notre approche par la psychanalyse. Et ce d’autant que Lacan avait publié ses Ecrits en 1966 avec des effets sur les psychiatres et psychanalystes en herbe ou déjà mûrs. Et évidemment sur nos collègues non médecins, les psychologues notamment.

-II-

LUTTES VIOLENTES ENTRE GENERATIONS

Dans ce chapitre sur les violences armées, peut-être allons-nous nous écarter quelque peu de l’enjeu clinique de la maladie mentale, mais nous disons que le politique les relie, ne serait-ce que par le cadrage de la violence chronique de l’univers souvent carcéral des asiles dans le traitement social et éthique du fou mis en lumière en Mai 68 et après.

***

Des luttes violentes entre générations ont surgi, concomitantes, alimentées et alimentant mai 68 et les années d’après et notre actuel.

Nous réentendons aujourd’hui encore les effets trans-générationnels dans les slogans comme CRS=SS ou Nous Sommes Tous des Juifs Allemands . Ces termes nous disaient en sourdine que la mort, par tuerie dans les chambres à gaz nazies était devenue un objet distribuable dans les camps d’extermination. Effets sur notre subjectivité qui ne cesseront pas jusqu’à nos jours. Et cela dans un glissement voire un engloutissement du singulier dans la collectif.

Ainsi, des groupes paramilitaires concomitants de Mai 68 firent leur apparition. Forme violente de Retours de l’Histoire de la guerre de 1939-45. Et qui plus est, beaucoup d’entre nous y étaient partie prenante jusqu’à un certain point, un certain moment…

Ce retour d’Histoire de la guerre 1939-45 avec ces groupes paramilitaires est lesté, selon moi, par ce statut de la mort donnée violemment par les nazis. Et cela a changé sûrement quelque chose dans le rapport à l'autre. Notamment dans ces actions de révolte armée qui n’ont abouti qu’à reproduire les mêmes effets qu’ils voulaient combattre. A la fin du séminaire de 1964 de Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, est citée cette fascination à des dieux obscurs et la quasi impossibilité d’y échapper.

Ces groupes armés ont eu lieu dans quatre pays : Allemagne, Italie, Japon, France. Ces groupes en effet sont nés dans les pays de l’Axe nazi, (la France est considérée comme complice et non acteur direct… !). Leur but apparent était de faire la révolution mondiale, et donc de pratiquer la violence armée. Mais cette violence allait contre les silences sur les « fautes » des pères et les silences commis dans ces pays sur les crimes qui s’y sont produits. Dans les quelques années qui suivirent, tous virèrent dans ce qu’ils combattaient.

Le 4 juillet 1976 la bande à Baader (Allemagne) ou faction armée rouge, commit une prise d’otages dans le détournement sur Entebe d’un avion d’Air-France entre Paris et Tel-Aviv. Le tri des passagers entre juifs et non juifs eut lieu.

Ce tri dans l'avion détourné rappelait celui des nazis, mais l’équipage français s'est montré d’une grande présence d’esprit et d’une grande fermeté en refusant toute négociation. On sait qu’une mission de Tzahal très spectaculaire réussit à libérer et sauver 102 des 105 otages.

Tous ces groupes d’actions violentes sont ceux des années de plomb nés après mai 68, en relation avec la Gauche Prolétarienne en France et l’extrème gauche en Europe, le Maoisme, la Révolution culturelle chinoise. Ils sont très reliés entre eux, et s’appuient sur un anticapitalisme américain et un anti-sionisme rapidement antisémite. Les liens avec les Brigades Rouges italiennes et Action directe en France sont avérés. Avec le meurtre, en Mai 1978 d’Aldo Moro, Président du Conseil Italien plus de 300 membres des Brigades Rouges révolutionnaires italiennes (BR) se sont réfugiés en France, accueillis et actifs au sein d’Action directe. Pourtant très recherchés par la police italienne, le septennat de Mitterrand ne les expulsera pas vers l’Italie ! malgré attentats en France et à Milan et d’autres viles italiennes, braquages de banques et quelques 80 meurtres…

Action Directe en France est créée en 1977 et dissoute par Mitterrand en 1982 après l’attentat de la rue des Rosiers à Paris contre le Restaurant Goldenberg. L’AD revendique l’attentat puis se rétracte, car de fait c‘est Abou Nidal chef d’un groupe dissident du Fatah palestinien qui l’a commis : 6 morts et 22 blessés. Dissoute, l’AD a pourtant continué ses attentats terroristes en liaison avec la Bande à Baader, l’OLP, la FALR, Fraction armée libanaise révolutionnaire et d’autres. L’AD est un groupe extrémiste anarcho-communiste de quelques centaines de membres très actifs en France en vue de la révolution prolétarienne, ils sont auteurs d’une centaine de meurtres de civils et de policiers. L’AD n’a cessé d’exister qu’en 1987. Une amnistie fut décidée entre autres négociations de devenir inactifs et de ne pas extrader les membres des BR vers l’italie.

Notons ici le lien de l’AD et des BR, avec Carlos (le fameux vénézuélien du nom d’Illich Ramirez) et son virulent antisémitisme meurtrier, devenu rapidement après mai 68 l’un des chefs du FPLP, groupe chrétien palestinien, le 1er à utiliser l’action kamikaze contre Israël.

Pour l’AD comme pour les BR, cet aspect de connivence avec de tels terroristes de haut vol est à noter, quelles que soient les raisons d’Etat ou de haute police. Mitterand proposera de lâcher prise sur ce fascisme rouge et de ne s’intéresser qu’à la violence armée d’extrême droite ! Est-ce le lien intergénérationnel qui se montre ici dans une sorte de laxisme en faveur d’une partie de la jeunesse qui aurait droit à des actions violentes … naturelles ? Et de plus issues de l’admiration de la Révolution culturelle chinoise de Mao commencée en 1966 et finie en 1976 à la mort du Grand Timonier?

La Révol-Cul exhibe cette dimension de lutte entre générations. On mettra cinquante ans à accepter que ce ne fut pendant 10 ans qu’une action de tueries commises par les générations des 14-30ans, les Gardes Rouges s’attaquant et assassinent leurs parents, leurs professeurs de lycée…

Les effets de la revol-cul en France s’appelle la GP, la gauche prolétarienne fondée par Benny Lévy en septembre 1968. Elle est issue du mouvement du 22 mars 68 de Cohn-Bendit , elle est marxiste léniniste, mais aussi anarchiste, libertaire et anti-autoritaire. Elle a une revue J’accuse, La Cause du peuple dont jaillira le journal Libération . Elle ne durera que jusqu’à l’attentat palestinien commis par le groupe Septembre Noir lors des JO de Munich en 1972 contre les athlètes israéliens. Une division entre membres juifs contre l’attentat et membres non juifs qui furent pour en sera la conséquence… terminale[3].

Restons en dehors de l’Europe, et abordons maintenant les actions de l’Armée rouge japonaise qui est l’initiatrice des attentats Kamikaze depuis les années 1970. En février 68 une immense action de révolte contre l’emploi des exfoliants utilisés par l’aviation US contre le Vietnam est lancée depuis la gigantesque Université de Todaï à Tokyo. Relayé immédiatement par Mai 68, il en surgira un groupe paramilitaire très violent et… au début très apprécié par le public : l’Armée rouge japonaise.

Elle est en effet initiatrice des actions kamikazes: un film Japon les années rouges de Michel Prazan ( 2002) en témoigne.

Mais 68 arrive et voilà suractivés les membres de ce groupe.

Soutenu par la population, ils commencent à tuer des policiers et sont obligés de se réfugier dans les montagnes autour de Tokyo.

Pourchassés, ils vont fuir dans la plaine de la Becca au Liban. Curieuse destination et pourtant l’Armée Rouge japonaise la justifie pour attaquer Israël en le qualifiant de chef de file du capitalisme mondial !

Ils commettent des attentats kamikazes en les enseignant aux membres palestiniens du Front populaire de libération de la Palestine dirigé par Georges Habache. Ils sont de culture japonaise, le kamikaze a été une attitude japonaise du Moyen Âge où le guerrier se tue d’avoir tué. Il s’agit dés lors de la nécessité de se faire hara-kiri. Le premier attentat Kamikaze a lieu, en 1972 avec le FPLP où ils tirent à vue sur les passagers sortant de l'avion à l’aéroport de Lod, à Tel-Aviv. Sur les quatre terroristes trois s’étaient dévisagés pour ne pas être reconnus et se suicident.

Le quatrième va avoir un procès où il affirme qu'il veut une seule chose, c'est se tuer : le policier chargé de le surveiller dans le tribunal lui dit qu’il lui passe son revolver, en lui disant « je vais aux toilettes et pendant ce temps là, tu parles et tu peux faire ce que tu veux ». Évidemment il n'y avait pas de balle. Le piège avait été effectivement bien monté. Mais ce policier sera assassiné en 2000 par ce qu'il reste de l’armée rouge japonaise ! Déclarée groupe terroriste à nouveau après le 9/11 des Tours Jumelles à New-York, il a été dit que le lendemain du 11 septembre 2001, un communiqué en langue arabe et à fort accent japonais revendiquait la formation à l’action kamikaze…

***

Le psychanalyste est ici face aux violences et à leurs filiations, voilà comment il peut se placer dans le registre du politique, soit questionner la transmission. Le film Salafistes de François Margolin nous le montre. Quoique m’écartant apparemment du thème de Mai 68, le conflit entre générations dans le monde islamique y est très présent.

La question en effet est celle-ci : que vous a-t-on fait, à vous si jeunes encore pour sortir ainsi de l’humain ?

Serait-ce que vos pères ont fauté, à l’instar de ceux des États totalitaires des pays de l’axe nazi, redisons-le, où pour réparer les fautes de leurs pères, Bande à Baader, Armée rouge japonaise, Brigades rouges, Action Directe et d’autres encore, répétèrent ces mêmes fautes sans le savoir ? « Vos pères, pourrait-on dire, n’auraient-ils pas renouvelé leur islam, trop soumis et trop corrompu ? Au point que pour réparer ces fautes vous les exacerbez à l’extrême aujourd’hui ? » Sans voir que c’est la langue de l’islam contre laquelle ils attentent puisque leurs ordres et imprécations meurtrières sont proférés en arabe ?

Comment repérer cet actuel au niveau individuel, où des adolescents et jeunes adultes risquent de succomber ? Comment dès lors essayer de les écouter pour arrêter la marche vers l’abîme où ils se laissent fasciner par l’horreur, où vie et mort se valent et ne valent plus rien ? La parole là n’a plus cours.

Cette lutte entre générations dans Salafistes, (2016) de François Margolin se perçoit avec ces jeunes lancés dans leur monologue terrorisant, imberbes, entourés de livres, bardés de leur AK147, de fait, ne parlent pas. Ils affirment sans recul leur certitude où le hors-monde a vidé leur monde intérieur. Plus d’intériorité psychique. D’où la fascination dès lors de ne plus avoir à faire de la place aux excitations sexuelles ou agressives, à la condition de se mettre au diapason imposé dans la violence masculine et la jouissance du meurtre de masse mis en acte collectivement et reprise dans leur propagande.

Sommes-nous tellement éloignés de notre questionnement du départ sur la séparation entre neurologie et psychiatrie intra asilaire ? de fait ces violences qui se déchaînent sont très éloignées, mais le traitement raté du cadrage de la jouissance les rapprochent bien que les unes soient d’une intensité extrême et les autres soient soft par leur chronicité infinie, où la mise en question de la génération d’avant celle arrivant en Mai 68 a eu lieu par l’apport de la psychanalyse.

Il s’agit donc ici d’ouvrir une approche psychanalytique d’une clinique de la violence [4] afin de situer jouissance et autorité.

-III-

JOUISSANCE ET AUTORITE

Lutte des générations veut dire la prise dans des nouveaux modèles de jouissance et un autre choix d’habillages du discours de Maître .

Mai 68 ici ouvre le lien entre transmission et psychanalyse.

En tant qu’analystes, avons-nous à nous porter témoins du vacarme et des turbulences du monde ? Qu’est-ce qui nous y engage ?

Oui, nous y sommes engagés, cela fait écho à la fameuse « prophétie » des années 1950 attribuée à André Malraux : « Le XXIe siècle sera religieux (ou spirituel) ou ne sera pas », où le « ne sera pas serait … »… la bombe. Nous savons combien il prévoyait que l’Occident allait en découdre avec l’islam et le monde arabo-musulman, au point qu’il dise vers la fin de sa vie (1975) que le monde « commençait à ressembler à ses livres ».

En 1953 , il avait soutenu : « Depuis cinquante ans, la psychologie réintègre les démons dans l’homme. Tel est le bilan sérieux de la psychanalyse. Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connu l’humanité, va être d’y réintroduire les dieux. »

Mai 68 est à situer dans ce parcours.

Nous sommes engagés du fait de la perte de repères et de la mise en place d’autres

repères très dangereux pour certains, qui deviennent aujourd’hui des avant-djihadistes en partance pour l’extrême. Tout comme l’on été les membres des groupes armés à la suite de mai 68.

Y a-t-il d’autres repères plus accessibles – espérons-le – où l’entrée dans la violence prend quelque temps et marque le pas devant l’histoire actuelle, pour moins l’abolir ?

Pour que l’infantile en chacun de nous ne disparaisse pas tout entier dans des actes dont notre époque nous fait témoins.

En France, en Mai 68 le PCF et De Gaule avaient perdu toute autorité. Cela ouvre à des retours, d’histoires élaborées par le jeunesse. Celle ci invente des éditions et, des revues qui orientent les enjeux de changement. Hara-kiri l'ancêtre de Charlie Hebdo nommé en 1985, était lié à Charles de Gaule.

Ce rapport défaillant en neuro-psychiatrie se retrouve entre jeunes praticiens et leurs chefs de service qui ne savent plus les former. La séparation entre neurologie et psychiatrie était faite dans les esprits, elle était nécessaire scientifiquement afin que la psychiatrie soit à l’égal de toutes les autres pratiques médicales.

Mais le retour dans le champ du médical pour la psychiatrie asilaire n'a fait qu'aggraver les choses malgré l’arrivée des psychotropes, qui ont même beaucoup aidé les malades à de nouvelles prises en charge. Citons Bonaffé en Mai 68 qui affirme que, les HP sont le modèle de lutte pour le liberté. L’hôpital psychiatrique de St Alban et son remarquable révolutionnaire permanent Franois Tosqelles sont ici a citer.

La psychiatrie de liaison, la conduite de la politique de secteur, la psychothérapie, bien que ce soient des avancées différentes les unes des autres, font alliances avec le non-médical pour émanciper le malade mental dans le social et le politique.

Mai 68 n’a pas été, un virage pour Lacan. C‘est plutôt la fondation en 1964 de l’Ecole Freudienne de Paris où les titres de ses séminaires prennent de termes non freudiens : Objet de la psychanalyse,

L’ Envers de la psychanalyse, d’ un Autre à l’autre… RSI

Mais l’agitation de mai 68 a été celle des discours.

ils se sont secoués, entrechoqués entre ceux que Lacan nomme dans l’Envers de la psychanalyse. Là où la couverture de ce Séminaire publié aux éditions du Seuil montre Cohn Bendit narguant un CRS de façon qui me fait dire que le discours de l’hystérique aurait été l’agent du discours du Maître. L'inconscient serait alors passé dans la rue, les slogans en témoignaient « sous les pavés la plage » ou « il est interidre d’interdire ».

Cela fait penser à ce qu’il s'est passé en 1981 lorsqu'il a été dit que « l'analyste a horreur de son acte » dans le journal Le Monde. Ce qui a donné pendant quelque temps une piètre figure de la psychanalyse enseignée par Lacan.

Le sujet fusionnait avec le collectif. D’où un changement de modèle de jouissance si provisoire fût-il. Il a été insupporté par le PCF et de Gaule qui a parlé de « chienlit ».

Lacan nomme cela une utopie avec le plus de jouir en miroir à la plus-value de Marx. Dans ce charivari des discours et des jouissances qui en giclaient lui ont donc fait avancer le plus de jouir comme lien entre signifiant et jouissance. Une sorte d’équivalence et de bousculade entre le dedans et le dehors, entre sujet et collectif.

Un tel télescopage des discours rendait possible un temps cette équivalence entre collectif et singulier, du politique, et du privé devenu public. C'est cela qui nous mettait ensemble en jouissance, avec ce plus de jouir, peut-être pour faire la nique à Sigmund Freud.

Là devient palpable la position de l’hystérque en tant « qu’esclave d’un Maître sur qui régner ». Cela se traduit dans la révolte contre les institutions . Pour la psychanalyse, le désir d’institution risque d’effacer le désir de l’analyste aujourd’hui du fait de la multiplicité des associations d’analystes .

Rendant nécessaire le passage du signifiant à la jouissance du parlêtre.

Avec sa mise en place du réel comme prévalant dans la pratique plutôt que l'imaginaire ou le symbolique, il a conforté la nécessité de se passer de garantie, et de donner un élan à ce que l'analyste ne s'autorise que de lui-même avec le rectificatif au « de lui-même ». il ajoute « et de quelques autres » pour indexer la passe à son Ecole. Car avec Mai 68 le risque est apparu dans ce passage entre dehors et dedans du déroulé d’une analyse de renforcer l’institution comme acte politique prennent le pas sur le désir de l’analyste.

C’est là où poser la séparation entre neurologie et psychiatrie prend tout son sens, celui de faire prévaloir la parole depuis l’inconscient sur le voir, le voir clinique du médical voulant sans cesse prendre le pas définitivement sur l’écoute et le signifiant .

Notons aussi pour une suite ou un prélude à Mai 68 l’avènement de la Beat Generation aux USA, un avant-goût avec cette révolte où rivalisent la lutte contre la consommation, la libération de l’homosexualité, la poésie de Jack Kerouac, bientôt suivie par une opposition au retour virulent du racisme. Où a lieu le meurtre de Martin Luther King début 68. Mais aussi la révolte contre la politique guerrière de Washington…

Et en France l’abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l’avortement sont concomitants de notre Mai 68…

Jean-Jacques Moscovitz

[1] Exposé à, Dimension de la psychanalyse lors du colloque « Impact de Mai 68, sur la psychanalyse » 30 septembre et 1er octobre 2017.

[2] Les mercenaires 7 et plus, ce fut notre surnom, étaient Jean et Marie-France Losserand, Henri Debray, Stansilas Tomkiewicz, Alain Didier-Weill, Drick Martin, et moi-même…

[3] JC Milner in « L’arrogance du présent, regards sur une décennie, 1965-1975 » Grasset, 2009

[4] cf Violences en cours, éd Erés décembre 2017 dirigée par JJ Moscovitz pp, 80-82