Présentation à New-York de rêver de réparer l'histoire par J-J. Moscovitz

Date de publication : Sep 27, 2015 12:42:17 PM

Paola Mieli je te remercie ainsi que l’association Après-coup psychanalytic de m’avoir invité si chaleureusement à un débat sur ce travail commencé il y a 5 ans…. Le voilà abouti, apparemment en tous cas sous l’aspect de cet objet qu’on appelle livre… Oui grands merci à vous tous d’être ici et je remercie tout particulièrement Jacques Houis et Christopher Christian d’être présents avec Paola Mieli dont je sais que leur intérêt est grand pour le thème de notre rencontre. Je pense qu’elle sera fructueuse et maintenant et pour la suite , je l’espère très vivement.

Ce livre est paru en janvier 2015 dans la collection Le regard qui bat … dirigé par Vannina Micheli Rechtmann et moi-même aux éd Èrès. llUn 1er ouvrage, Entre psychanalyse et cinéma, le féminin interrogé a été publié en octobre 2013 .

Comme activité, Le Regard qui bat…[1] c’est projeter un film en présence si possible de réalisateur pour un débat avec lui.

Au départ séminaire de clinique, car des personnages de films évoquent souvent des situations de personnes en analyse.

Au fil du temps ce qui a motivé mon ouvrage a été la question de savoir comment le désir de l’analyste et les désirs de cinéma se font-ils de la place pour l’analysant, l’analyste, et donc pour le spectateur, le cinéaste, pour le citoyen.

Quelle découpe du réel a lieu entre désir de l’analyste et désir de cinéma ?

Une telle découpe du réel est-elle la même entre cinéma et psychanalyse ?

Au niveau clinique s’est posée tout de suite la question du statut de l’image qui bouge par rapport à la fonction de la parole, à l’acte de parler. Et cela au niveau individuel.

Surgit aussi le registre politique du rapport entre sujet et collectif. Comment les turbulences du monde engloutissent-elles le sujet ?

Les évènements de janvier 2015 en France le montrent cruellement: comment un bout de papier qui représente Mahomet peut-il aboutir à de telles tueries ? Voilà la chute de la métaphore. Chute du symbolique.

Le cinéma et la psychanalyse ouvrent le champ du politique pour se rejoindre et peut-être pour réparer les fractures du symbolique, de la loi . D’où le sous-titre : psychanalyse cinéma politique. Le titre au plan linguistique, est une énonciation, c’est ce que je souhaite transmettre..

Ça ne veut rien dire en fait, c’est une métaphore poétique Rêver de réparer l’histoire.

Le mot rêve évoque l’inaccompli d’un désir dans l’inconscient du rêveur, accompli enfin par le rêve, le réel y est désignable dés lors.

Ce désir de réparer le sujet englouti dans le collectif insiste, voisine avec la croyance, l’espoir de réparer dés qu’il s’agit des fractures de civilisation produites dans l’Europe nazifiée… d’où mon titre ici de la présentation du livre « Rêver de Réparer l’histoire à New York » car l’armée Us m’a sauvé la vie à moi et ma famille.

Un souvenir d’enfance ici, que je cite dans le commentaire du film de Spielberg de 1998 Il faut sauver le Soldat Ryan/Private Soldat Ryan. C’est dans mon ouvrage de 2004 Lettre d’un psychanalyste à Steven Spielberg, dont une version personnelle en anglais est disponible .

« A la libération de la ville où nous étions en septembre 1944, âgé de cinq ans et mon frère six, je me souviens d’une assemblée de gens en prière, commémorant pour la première fois depuis les débuts de la guerre, la fête de Yom Kippour, dans une synagogue qui n'avait plus de toit [ le lieu comme beaucoup d’autres avait été bombardé]. [Nous sommes accroupis au premier rang], et nous voyons alors, derrière nous - image de film -des soldats américains casqués, en train de prier. Des soldats avec d'autres personnes, des civils, et mes parents, certains soldats viennent nous voir, nous parler, nous observer même, comme si nous étions les deux seuls enfants juifs sauvés de toute l'Europe »… d’où le petit « h » dans le titre de Rêver de… il désigne : l’histoire intime du petit garçon que j’étais en 44-45 en France.

Alors s’agirait-il de Rêver de réparer l’intime ?

Chacun d’entre nous a de telles énonciations aujourd’hui, où la grande Histoire face à l’intime reste trop violente encore actuellement. Pas de réparation de la grande Histoire d’aillleurs , on a mal à son histoire intime. la psychanalyse et le cinéma proposent de le dire. D’autres disciplines, la littérature, la poésie de Paul Celan et d’autres…bien sur le font.

Et maintenant ZELIG. Aujourd’hui.

C’est un film qui m’a servi de référence tout au début puisqu’en 2008 il est projeté à Paris à la Pagode mais également un peu plus tard à Jérusalem et aujourd’hui à New York.

C‘est un peu un guide et toujours surprenant.

C ‘est un discours images sur l’image qui a de multiples et foisonnants bouts de réel, d’entrées pour s’inscrire en lui : l’imitation, la mimesis, l’identification, le spéculaire, le féminin et d’autres comme la psychanalyse, l’histoire européenne etc

En yiddish Zelig signifie bienheureux, il est qualifié de caméléon humain par Eudora Flechter, sa psychanalyste et bientôt son épouse très amoureuse de lui. C’est Mia Farrow l’épouse de Woody dans la vie au moment du tournage en 1982. Ils ont tout deux le rôle principal dans le film.

CE FILM est un acte victorieux de l’intime sur le collectif. Certains voient dans cette invention du complexe du caméléon, de l’imitation, quelque chose d’analogue en importance au complexe d’Œdipe lui-même créé par Freud.

Voilà une façon de nommer le collectif afin que du sujet en ressurgisse.

Cela évoque la mimesis qui chez Platon est une des qualités du discours autant que la vérité.

C’est là ici une dimension de la parole vis-à-vis du collectif, nous serions peu ou prou tous des caméléons, un être parlant qui s’identifie au collectif pour le ridiculiser, pour sauver sa parole face au politique qui veut la rendre silencieuse. Cela fait penser aux neurones miroir, métaphore pour moi des actes de meurtres de masse qui ont déferlés en Europe nazifiée.

Cette déprise du sujet depuis le collectif est un point important

En même temps au registre individuel, c’est le semblant que l’enseignement de Lacan déploie, cet entre cuir et chair ; ce qui produit sans cesse de l’écart, je dirai anti totalitaire.

Le semblant c’est ce qui différencie l’énonciation qui prend le pas sur l’énoncé. Le semblant c ‘est ce à quoi l’enfant accède, par le mensonge.

Dans Zelig tout tourne autour de cela : vrais et faux documentaire ou fiction, appel au narcissisme le plus amplifié qui soit pour en déchoir aussitôt.

Ainsi Zelig peut s’identifier à tout le monde, obèse, gangster , noir, jazzman, chinois, des gens de différentes classes sociales etc. Tout est spécualarisable, sauf la femme. Dans le film se perçoivent les liens de transfert et de contretransfert par rapport à une femme, sa psychanalyste.

Au plan plus général, c’est la face image de la parole qui prend son départ depuis le collectif pour s’en dessaisir. Et cela permet de dépasser l’aliénation du plaire, cette attitude que le politique use tellement trop souvent aujourd’hui. Ce certain forçage dans le film ridiculise le goût du collectif, le dépasse. Non sans un humour sans doute newyorkais… ! humour souvent profond et qui déloge toute croyance dés qu’elle est trop proclamée en certitude. C’est un appel au goût du semblant, à la fête du semblant au sens de Lacan , de se laisser s’en laisser faire comme il le disait en séance. C’est l’association libre des idées qui dans de ce film se fait sans en avoir l’air en images très articulées les unes aux autres.

De passer sans cesse d’une image à une autre, fait que tel signifiant en devient un depuis un mot anodin qui accompagne l’image. C’est le semblant lui-même qui dans le film se fait personnage qui parle et qui parle des psychanalystes pour que le sujet prenne son allure.

Exemple : quelqu’un dans le film veut arracher le masque du personnage chinois en pensant qu’il n’est pas chinois, alors que ce qui est montré est très exactement le contraire. C ‘est que ce masque n’a rien à voir avec un geste moteur, ni du visuel, mais c ‘est de l’ordre du symbolique, de la parole dont le lieu est le visage.

Citons deux exemples psychanalytique qui éclairent ce point de clinique:

-quand les enfants mettent les doigts dans la bouche des adultes pour attraper les mots comme si c’était des objets venus de la bouche.

-de la même façon quand Mabel dans Une femme sous influence de Casavetes scrute le fond de la gorge d’un chanteur pour voir les mots et la voix.

J’appelle cela des objets acteurs, mis en scène, dirigés par le réalisateur et dont le pendant est le trait unaire dans le discours de l’analysant. Objet acteur et trait unaire organisent respectivement le discours image du coté du cinéma et le discours d’un analysant coté psychanalyse. C’est un donné que j‘aborde plusieurs fois dans mon ouvrage pour marquer le lien clinique entre ces deux disciplines , ces deux pratiques, leur affinité.

Quelques mots maintenant, avant de voir enfin Zelig, sur les raisons de Rêver de réparer l’histoire.

La clinique est le méthode de rencontre entre cinéma et psychanalyse dés le début, ça le reste aujourd'hui. (cf. le doc audio le site du Regard qui bat…sur le film Le Labyrinthe du silence où la question du père est apparue pendant le débat de façon étonnante). L’ouvrage propose de poser le cinéma comme science voisine, affine de la psychanalyse disait Lacan, soit une des matières de la formation des analystes, comme le sont la religion, la linguistique, les mathématiques, l’histoire des sciences etc. Les autres points, d’accroche du cinéma et de la psychanalyse le montrent .

Ainsi plusieurs raisons apparaissent:

Raison d’ordre testimonial. Comment dire le fait d’avoir mal à son histoire, témoigner des effets des turbulences du monde. Cinéma et psychanalyse luttent contre les avatars du symbolique, les nouveaux avatars devant les Horreurs des disparitions collectives : ce sont la silenciation, forme active de renoncement à savoir du coté de la victime, et du coté des bourreaux des ignorances activement voulues, sorte de forclusion construite, devant les crimes commis. Où se repère une scène originaire à l’échelon planétaire entre victime et bourreau où la mort devenue objet consommable, défait de a valeur de mystère se distribue entre ces deux places dans les médias au point d’entamer gravement notre jugement de la réalité au niveau intime .

Autre raison du bâti de mon livre : l’histoire, soit les lieux de 3 histoires : la grande avec un H , qui, rompue du fait des camps nazis de la mort en Europe et maintenant ailleurs, fuse dans la mémoire familiale, et c’est celle-là qui s’inscrit dans le mémoire du Moi, l’histoire intime, du petit enfant dans son lit, celle du sujet face au collectif où ce sujet risque de s’engloutir.

Autre raison dés lors: le lien sujet au collectif, qui devient de plus en plus poreux, et c’est cette porosité qui me questionne et se retrouve, se lit dans le grand cinéma : Shoah de Lanzmann, The Memory of Justice de Marcel Ophuls, mais aussi Donoma, et d’autres parmi les 70 films sur lesquels ce livre s’appuie . Ces films ne sont pas de l’ordre du narratif, qui est devenu impossible du fait de ruptures d’histoires irréparables. Et ils tiennent compte de ce décalage entre images et paroles, où celle-ci est en danger d’engloutissement dans le collectif. D’où mon approche de ces œuvres de transmission, à partir de grands cinéastes qui, malgré la dangerosité des images, savent en mesurer le risque au profit de la parole. Zelig en est un exemple.

D’où aussi du coté psychanalytique, de tenir compte de la désimbrication entre Éros et Thanatos du fait du déferlement de jouissances erratiques depuis les horreurs nazies en Europe.

Pour conclure : tout cela s’appuie sur le paradigme de notre époque , quel est il, quelle est la métaphore de notre actuel ?

Fin du 19e et jusqu’à aujourd’hui est trouvée une adresse de la parole à un Autre désormais sans appui sur la religion. Ainsi cinéma et psy naissent-ils fin du 19e en même temps que le féminisme, le marxisme, l’art qui se modifie avec Mallarmé en littérature questionnant l’écrit sans sujet, en peinture avec l’objet d’art selon Marcel Duchamp.

La métaphore de notre temps, par le regard porté vers soi-même et sur le monde c’est la tension actuelle entre deux points. D’une part, avec Le Chien Andalou, cité en ouverture, où intime et secret du sujet se révèlent sources de nos désirs singuliers; et d’autre part, l’attaque contre cet Autre jusqu’à produire des crimes de masse.

Le Combat des Lumières depuis 1789 – hasard du mot puisqu’il s’agit ici de cinéma ! - se protège contre les Anti-Lumières. La psychanalyse en perçoit les effets sur le sujet en s’appuyant sur le déjà-là transmis par le singulier de la parole, du subjectif, du féminin, de l’abord de l’enfant. Elle participe ainsi à la défense contre la destructivité collective envers les gens , contre cet Autre devenu meurtrier. La reconnaissance d’une telle destructivité est si refusée qu’elle provoque un suspens de la pensée pour ne pas vouloir savoir

ce qu’il est arrivé à ce lieu de l’Autre avec les deux guerres mondiales, les camps, la Shoah, et les autres crimes de masse. Tous ces crimes sont mus par la haine d’État.

RÊVER DE RÉPARER L’HISTOIRE : Sujet et collectif sont ici en débat. Quelles issues, quels retours éclairent-ils de nos enjeux subjectifs. De tels enjeux sont propres à la pratique de l’expérience freudienne aujourd’hui et à la réalisation de films qui savent en tenir compte de plus en plus.

Jean-Jacques Moscovitz

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