ACTUEL ENTRE PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

La psychanalyse survivra-t-elle à l’apparition des psychothérapeutes d’État et à la dissolution de la psychiatrie dans la santé mentale ?

Par Marie-Noël Godet

Auteure de « Psychothérapie d’Etat, Etat thérapeute »

Une lecture de la loi sur le titre de psychothérapeute

Le 22 mai 2010, parait au JO la 8ème et dernière version du décret d’application relative à la loi sur la création d’un titre de psychothérapeute mettant fin à la longue croisade entreprise par B. Accoyer depuis 1999. On aurait tord de penser qu’il s’agissait là de la création d’un simple titre qui ne déboucherait pas sur une nouvelle profession dans la fonction publique et privée.

Ces derniers remaniements législatifs s’éclairent de leur confrontation aux rapports de psychiatrie nombreux qui se sont succédés depuis 2001 jusqu’au dernier rapport de novembre 2009 « la santé mentale, l’affaire de tous » élaboré non plus cette fois par le Ministère de la santé, mais par le secrétariat d'État à la prospective annonçant la création d’une « mission interministérielle sur la santé mentale ». L’affaire de tous, en effet.

Le glissement sémantique de la psychiatrie à la santé mentale qui va de pair avec sa médicalisation s’est accompagné d’une refonte de toutes les professions de santé et la loi sur le titre de psychothérapeute en est un des édifices. La psychiatrie qui a intégré la neurobiologie n’est plus portée par la psychanalyse. Le rapport Couty est sans équivoque : « La commission INSERM dédiée à la psychiatrie n’existe plus : La psychiatrie relève de la commission des neurosciences et est partie intégrante de l’Institut des neurosciences ».

Une pratique orientée par la psychanalyse en institution est de plus en plus difficile, alors que la psychiatrie et la psychopathologie sont devenues de plus en plus biologiques. Elle est aujourd'hui dans un débat social d’autant plus aigu que c’est la singularité qui est en jeu.

La pratique psychanalytique, qui nous intéresse avant tout, n'est évidemment pas à l'abri, aujourd'hui des législations sur les psychothérapies ni des discours qui les sous-tendent.

- Peut-on craindre de voir un jour le titre de psychanalyste réglementé à son tour en pratique libérale ? nous ne disposons pas encore en France du recul dont « bénéficient » l’Italie ou l’Allemagne pour mesurer les effets de la législation récente sur l’exercice de la psychanalyse.

On sait seulement qu’il sera préférable de se limiter à l’usage du titre de psychanalyste, celui de psychothérapeute paraît déconseillé, à moins d’opter pour une inscription sur la liste préfectorale et selon les conditions édictées par le décret.

Les psychanalystes vont-ils longtemps s’offrir le luxe de résister à l’inscription sur le registre national des psychothérapeutes quand la demande s’orientera tout naturellement vers ce qui donne l’apparence d’une garantie professionnelle ? Et en institution faudra-t-il faire usage du titre de psychothérapeute pour y exercer des activités psychothérapeutiques ? Tout porte à le croire puisque depuis décembre 2008, on a soustrait l’activité de psychothérapie de la rubrique des activités des psychologues hospitaliers et supprimé la psychanalyse de la rubrique « connaissances associées » en novembre 2004. A l’origine de ces transformations, on retrouve les recommandations du rapport Cressard (Rapport Cressard : La réglementation du titre de psychologue, juillet 2004) adopté par le Conseil national de l’ordre des médecins en juillet 2004 préconisant que les psychothérapies pratiquées par les psychologues le soient sur prescription médicale. Il parle de « psychologie médicale ». L’enjeu est devenu la psychothérapie. Ce nouvel ordre des psychothérapeutes aux ordres auquel sera transférée une partie des fonctions du psychologue, du psychiatre et de la pratique analytique réoriente la demande en direction des psychothérapies qui ont la faveur des rapports de santé mentale, c'est-à-dire vers des pratiques évaluables. Cette réglementation interroge la fonction législative d’un Etat en blouse blanche qui s’immisce au plus intime de la vie psychique et l’affiche noir sur blanc quand il entre dans le débat épistémologique en prenant parti sur la définition de ce qu’est la psychopathologie clinique.

Très tôt, plusieurs associations de psychanalystes parmi les plus représentatives prennent position dans un texte commun sur le vote de l'amendement Accoyer, elles demandent aussi à être consultées. Le fallait-il ? Avec l’amendement Accoyer, la question de savoir si la psychanalyse est une psychothérapie, au lieu de rester un débat doctrinal interne à la communauté analytique s’est vue exportée sur le plan législatif et elle a pris une autre tournure.

En consentant à la remise des annuaires de leurs associations à l’État, les psychanalystes ne prennent-ils pas le risque de voir leurs associations habilitées à garantir indirectement la formation de psychothérapeute ou de participer malgré eux ( ?) de la conception fétichiste de la garantie comme signifiant maître ? La garantie de pouvoir conférer à leurs membres le titre de psychothérapeute au cas où il deviendrait indispensable pour travailler en institution ne l’a-t-il pas emporté sur la question de la psychanalyse profane ? Pariant qu’ils échapperaient à l’évaluation, ne s’y sont-ils pas engouffrés ?

La culture de l’évaluation qui a envahi tout le champ social ne nous incline pas à imaginer que la mention psychanalystes dans la loi ait pour mission de concéder à la psychanalyse dans la cité une place hors du champ tracé par ce discours. En institution, la liberté qui restera aux non médecins risque de se réduire au choix obligatoire d’une seule possibilité, celle d’opter pour un statut de psychothérapeute, à l’instar des psychologues.

Ce nouveau marché de la santé mentale est étendu à l’ensemble du champ social, de l’éducation, de l’enseignement, de la justice et du travail. Il y va d'un changement dans le lien social.

Alors, la psychanalyse, toujours ailleurs comme le préconisait Freud ou ailleurs… en voie de redressement réglementaire, puisque la voilà nommée pour la 1ère fois en France dans une loi de santé publique ? La pratique analytique deviendrait-elle un métier possible ? comme Freud en exprimait la crainte dans une lettre à S. Ferenczi le 27 avril 1929 : « Le dernier masque de la résistance à l’analyse, celui du médico-professionnel, est le plus dangereux pour l’avenir… » ?

Toute cette problématique relance l’acuité des questions posées, à la mi-mai 2010 à Berlin où se tenait un colloque organisé par l’Ass. Ferenczi après Lacan, à l’occasion du centenaire de la création de l’IPA interrogeant les liens entre « Pratique psychanalytique et politique ».

S. De Mijolla-Melchior soulevait la question de la perméabilité de la psychanalyse au sociétal, au politique, rappelant qu’historiquement son exercice peut être empêché ou entravé par le pouvoir ou que la psychanalyse peut se trouver avoir à répondre à sa demande.

L’exercice même de la psychanalyse va prendre une valeur politique.

C. Soler souligne qu’aujourd'hui, la psychanalyse n’est plus en position de combat, mais dans une position défensive. « Les psychanalystes demandent à être intégrés ; certains rêvent d’être conseillers des princes qui nous gouvernent ». Alors que Lacan a milité pour une priorité absolue : « nécessité de penser la psychanalyse » de telle sorte que le désir ne s’en perde pas plutôt que de favoriser les priorités confraternelles.

Pouvons-nous pratiquer la psychanalyse dans n’importe quelles conditions ? certaines conditions politiques ne vont-elles pas modifier ce à partir de quoi nous travaillons ? Où en sommes-nous aujourd'hui de notre possibilité de pratique de l’inconscient ? interroge R. Chemama

Peut-on balayer d’un revers de main l’impact d’une telle législation ? O. Douville, à propos du DSM soulignait que « l’inconsistance nosographique du DSM » ne devait pas faire oublier « l’extrême consistance des conséquences dans le social… c’est un énorme prescripteur d’identité »

Tout ce questionnement au cœur de l’Actuel…mobilise l’I-AEP dont le rôle n’est-il pas d’affirmer que « la question de savoir comment peut s’authentifier ce franchissement que constitue le passage de l’analysant à l’analyste doit rester ouverte » et soutenir que « la pratique de la psychanalyse ne saurait être réglementée, ni garantie par un statut d'État, ni encadrée par un ordre » (in Appel du Manifeste pour la psychanalyse en février 2004 et pétition du 1er mars 2006 « Ni statut d'État ni Ordre pour la psychanalyse ».)

Marie-Noël Godet