"L’attente croyante", Freud Médecin

Par Jean-Jacques Moscovitz

(psychanalyste, psychiatre Paris, exposé lors du Séminaire Inter Associatif Européen de Psychanalyse organisé par Le Mouvement du Coût freudien en juin 2020)


En 1890 Freud veut instaurer un lien entre la médecine et la subjectivité du psychisme avec un texte qu’il intitule Traitement Psychique, où se trouve le terme d’attente croyante, le malade accorde au médecin une valeur psychique apaisante dans la solution de son symptôme.

Freud désosse la portée religieuse de ce terme pour le rendre laïque et scientifique. Il souhaite montrer le conflit existant entre psychique et corporel pour introduire le psychisme dans la pratique de la médecine. Par Traitement Psychique Freud indique les immenses forces pulsionnelles en jeu que le médecin doit savoir reconnaître pour intervenir au niveau individuel.


Quels sont les effets d’un tel conflit aujourd’hui dans l’actuel où sont apparus un ébranlement, au moins des secousses entre les discours du fait de la pandémie. Ce qui amplifie la dimension de ces discours, qui sont : politique, médical, et psychanalytique. Actuel donc face au réel de l’invasion virale: le discours médical a retrouvé sa place éminente d’être au centre des enjeux de vie ou de mort concernant des populations entières et où le discours politique s’est pour une fois rangé derrière lui, que ce soit discours du citoyen ou discours du pouvoir.

Enfin, au politique et au médical s’adjoint le discours entre le patient analysant et le psychanalyste. Non sans être dans cette attente d’un apaisement prochain.

Les séances de psy à distance par téléphone ont fait surgir par l’absence du corporel, la mise en surbrillance de ce corporel-même pour en percevoir combien existe une inscription réciproque du corporel dans les mots. Oui, les mots sur lesquels Freud insiste tellement dans son texte de 1890.

Dans les mots, dans la parole, dans l’écoute existe une dimension du corps qui est celle de sa présence dans les mots, dimension différente du corporel au sens médical. C’est un donné clinique découvert par beaucoup de psychanalystes dans la période du confinement, soit une présence autre, hyperprésence de l’Autre alors que les corps réels sont absents.

Le corps dans la psychanalyse apparaît bien comme profondément lié aux mots sur lesquels insiste le texte de Freud sur l’attente croyante, avec cette dimension de l’autre en quelque sorte amplifiée et qui a pu faire fuir certains analysants qui ont refusé les séances au téléphone. Car dans cette situation il y a trop de sujet, sujet non limité par le corporel.

Et inversement avec le dé-confinement et les séances in presentia, il y a souvent un trop de corps physique car les mesures-barrière si nécessaires dans le cabinet de l’analyste, introduisent du médical avec ces fameux draps d’examen jamais utilisés jusqu’alors sur le divan. Ce qui enlève quelque solennité dans la séance d’analyse en rendant le corporel conscient trop présent.


Freud, dans son texte, instaure un conflit entre psychique et corporel pour introduire le psychique dans la médecine. La pulsion y est proposée comme convention, compromis, pont entre cex deux champs.

Et inversement au trop de corps physique en présentia, s’oppose un trop d’Autre, un trop de sujet dans la séance en distanciel.

Freud en 1890, souhaite démontrer que la rupture entre le corporel et le traitement d’ame, c’est son mot d’alors, doit faire place à un conflit symboligène dans les deux sens de la médecine corporelle à la médecine psychique.

Pour cela Freud introduit une solution de continuité entre ces deux domaines, on pourrait presque dire ces 2 planètes, où il va jusqu’à dire que si le corporel médical est de l’ordre du visible, la médecine psychique ou du psychique est de l’ordre de l’invisible , qu’aucune autopsie ne montrera jamais la lésion de quelque organe que ce soit.

C’est ce conflit entre un savoir par l’examen physique visible où les mots ne sont là que pour informer le praticien, alors que les mots dans le psychique sont l’essentiel de la pratique médicale à proprement parler quand il s’agit donc d’attente croyante, soit ce qui va s’appeler plus tard le transfert.

Donc instaurer un conflit à préserver. Et à produire .

Qui dit conflit dit au mieux et à juste titre sujet et subjectivité.

Conflit entre médical corporel et médical psychique .

Entre une clinique du visuel et de la numérisation I.R.M. etc, et l’écoute analytique qui ne se supporte d’aucun appareil. Fusse le rouleau/drap d’examen. Du sujet apparaît dans ce conflit productif de liens et donc de sujet, si bien reconnu aujourd’hui, conflit productif de sujet entre le corporel médical, visuel dominé par le regard et le corporel psychique de l’écoute et des mots.

Dans le texte de 1890 sur L’état psychique de l’attente (de trnsfert ) « se déploient des « forces psychiques pulsionnelles dans le déclenchement et la guérison des affections organiques ». Il distingue attente anxieuse et attente croyante. Est-ce que « l’attente anxieuse intervient ou non dans le déclenchement de la maladie, s’il est vrai par exemple qu’au cours d’une épidémie ( sic, il passe de l’individuel au collectif), les plus menacés sont ceux qui redoutent d’être atteints ».

Et d’autre part, Freud énonce que l’attente croyante est une force apaisante et agissante dans nos tentatives de traitement et de guérison.

Et là il insiste sur les guérisons miraculeuses authentiques, c’est à dire sans le concours de l’art médical, c’est là où l’attente croyante est la plus évidente.

Là intervient l’enthousiasme du collectif qu’on soit croyant ou non. Il désigne déjà son travail sur Psychologie Des Masses et Analyse Du Moi. Son point d’attaque, c’est le religieux pour que sa discipline naissante aillant vers la science. Adossée à la religion, la psychanalyse doit se mettre dans le cortège de la science, dira Lacan. C’est pour cela qu’il avance le registre du réel qui nécessite une logique du psychique, de l’inconscient, fondée sur l’écrit, sorte de retour du visuel pour l’approche du réel.

Le lien entre multitude et subjectif démontre la puissance du psychique dans l’art médical . il choisit des exemples où il y a une hyper-subjectivation du fait du lien entre le collectif et le subjectif. Chez les incroyants et les croyants.

Amour du prêtre, du leader politique, et, Freud l’avait dit ! –sans doute à propos de Charcot, du grand Professeur de médecine ayant des effets thérapeutiques sur les individus faisant partie d’une foule compacte….par l’enthousiasme débordant, une hyper subjectivation de masse.

Freud concernant les guérisons miraculeuses, affirme que

« chez les médecins rien n’oblige à faire appel à des forces autres que psychiques pour les expliquer; même dans ces conditions, on ne rencontre rien qui soit susceptible de dépasser l’entendement au sens scientifique ».


Il nous tend la perche car « la foi de l’individu est intensifiée par l’enthousiasme de la foule. De tels effets de masse peuvent accroître jusqu’à la démesure toutes les motions psychiques d’un individu. L’effet du pouvoir de la multitude existe même chez les incroyants qui, eux aussi, n’ont aucune raison de renoncer aux guérisons miraculeuses. Le prestige et l’effet de masse remplacent amplement, chez eux, la foi religieuse. Chaque époque nous apporte ses cures et ses médecins en vogue, qui exercent particulièrement leur emprise sur la haute société où l’envie de surpasser les autres et celle d’imiter les plus distingués représentent les forces pulsionnelles les plus puissantes. De telles cures déploient des effets thérapeutiques au-delà de la sphère d’intervention qui leur est propre, et les mêmes remèdes seront bien plus efficaces entre les mains du médecin en vogue qui se sera fait connaître en soignant une personnalité éminente qu’entre celles des autres médecins. C’est ainsi qu’il y a des thaumaturges humains aussi bien que divins ; néanmoins, l’influence de ces hommes qui doivent leur prestige à la mode et à l’imitation se dégrade rapidement, conformément à la nature des forces qui agissent en leur faveur ».


Freud en 1890, revient de son enseignement de chez Charcot à la Salpêtrière en 1886 sur l’hypnose, les émotions normales ou pathologiques, et l’hystérie, qui ouvrent sur sa découverte de la structure de l’inconscient .


Voilà une suite pour une autre fois avec S, ou sans, de la foi du fidéiste…