Multiculturalisme et démocratie française et européenne

Par Nabile Farès

Dans le titre de cet article on aura remarqué le singulier qualifiant les termes de « démocratie française et européenne » qui concerne ce qui se nomme politiquement et culturellement la « Communauté Européenne » qui fut une conquête de l’après-guerre de 1945, termes qui marquent une différence et une singularité vis des autres termes de communautés européennes, au pluriel, cette fois, qui visent à nommer provisoirement, factuellement, et non d’une façon essentialiste, les différentes communautés de voisinage, de cultures, de cultes, d’habitudes religieuses, de participations associatives sociales et politiques par lesquelles des femmes, des hommes, des adolescentes, adolescents, groupes sociaux, vivent ensemble ou séparément leur temps d’histoire, d’existence, de changements, transformations identitaires et symboliques nécessaires à la vie même des personnes qui composent ces associations, partis politiques, qui vivent et transforment, dans le même temps, leurs sociétés.

Les identités singulières et les identités sociales, selon des temporalités différentes, agressives, conflictuelles ou acceptées, recon- nues, et, même bafoués, stigmatisées, sont au centre des transformations symboliques exigées par le monde politique et juridique d’aujourd’hui, et, à ce titre, elles méritent d’êtres accompagnées, comprises, intégrées à la mémoire politique historique, éducative et scolaire, c'est-à-dire, d’une façon banale mais urgente, analysées et intégrées aux représentations communément enseignées de la civilisation et de l’histoire.

La civilisation est le lieu de développement et de transformations des cultures économiques, religieuses, symboliques et sociales ; réservoir pour des idéologies contradictoires, violentes, lorsqu’elles prennent ce lieu commun comme représentant personnalisé, personnifié, bien souvent, prétendant incarner une culture, une religion, une politique, une idéologie, pour autant que la civilisation est ce lieu vide où viennent se loger, se reconnaître, se faire la guerre ou s’émanciper de leurs traditions, parfois, anachronismes, ancestralités imaginaires inventées, déplacées, et, bien malheureusement, dominations, les cultures.

Aujourd’hui, c’est l’un des grands traits de sagesse et de clairvoyance politique des discours et positions, en France, de François Hollande, par rapport à celles qui furent développées au cours de la campagne électorale par Nicolas Sarkozy, que d’avoir tenu compte en discours, paroles publiques, de ces transformations.

Discours et positions qui, sans parler de « multiculturalisme » dans un sens bénéfique ou d’impasse sociale d’intégration telle que l’avait anticipée d’une façon dangereuse et rapide Angela Merkel, ont pris mesure de ce passage des transformations identitaires et sociales, économiques et symboliques, tout en gardant le cadre culturel et politique qui a définit au mieux, contre les discours totalitaires de l’exclusion et de l’illusion, du déni exterminateur, l’éthique subjective et objective de vivre dans cette reconnaissance de soi et d’autrui en un espace politique de citoyenneté égalitaire et commun.

Se rendre compte de ce qu’implique politiquement la reconnaissance de ces transformations si manifestement historiquement présentes, vives, en ce double sens, d’existences et de vivacités, fait partie d’un pari d’avenir de paix et reconstruction dont les dites communautés françaises européennes d’aujourd’hui, et non plus celles d’hier, coloniales, racistes, fascistes, antisémites, anti-arabes, antimusulmanes, anti…- les « anti-« sont nombreux » -, sont avides et persuadées pour autant qu’elles ne sont plus terrorisées, honteuses d’elles-mêmes ou d’autrui, pleines d’humour par rapport à des méconnaissances, croyances, peurs, si anachroniques : « Je me souviens … » écrit Amartya Sen1, prix Nobel d’économie, dans son livre « Identité et violence » qui nous parle d’un multiculturalisme ouvert a ses transformations en démocratie républicaine européenne ou pas « … non sans une certaine tendresse, je l’avoue, de l’inquiétude de ma première logeuse à Cambridge qui pensait que la couleur de ma peau allait teindre l’eau de ma baignoire. J’avais dû l’assurer que mon teint était bel et bien permanent. »

Exemple extra-européen, dira-t-on, peut-être avec condescendance, idéologie, qui peut nous faire penser, cependant, à notre tour, que nos êtres, nos libertés, nos vies intellectuelles et corporelles ne seraient pas solubles non plus dans une histoire qui ne serait pas commune de civilisation et d’humanité.

Le pari est ouvert, aujourd’hui, semble-t-il …

Nabile Farès, écrivain, psychanalyste

1 Amartya Sen, Identité et violence, ed. O. Jacob. Paris, 2007