Courrier

« …un chemin qui permet le retour de l'imagination à la réalité et c'est l'art. » Sigmund Freud 1

« Toutefois, avant de vous congédier aujourd'hui, je voudrais accaparer encore un moment votre attention et la tourner vers un aspect de la vie imaginative qui est digne de l'intérêt le plus universel. Il y a en effet un chemin qui permet le retour de l'imagination à la réalité et c'est l'art 2. L'artiste est aussi sur un mode inchoatif 3 un introverti; et de sa position à la névrose, il n'y a qu'un pas. Il est en proie à des besoins pulsionnels extrêmement forts, voudrait acquérir honneur, puissance, richesse, gloire et l'amour des femmes; mais il lui manque les moyens de parvenir à ces satisfactions. C'est pourquoi, comme tel autre insatisfait, il se détourne de la réalité et transfère tout son intérêt; sa libido aussi, sur les formations de souhait de sa vie imaginative, à partir desquelles le chemin pourrait conduire à la névrose. Il faut sans doute que bien des choses se rencontrent pour que cela ne devienne pas l'aboutissement de son évolution sur toute la ligne ; c'est du reste un fait connu que la fréquence avec laquelle précisément les artistes souffrent, du fait de névroses, d'une inhibition partielle de leur capacité de production. Il est probable que leur constitution comporte une forte capacité de sublimation et un certain flottement dans les refoulements qui déterminent le conflit. Mais quant au chemin qui permet le retour à la réalité, l'artiste le trouve de la manière suivante. De fait l’artiste n'est pas le seul à mener une vie imaginaire. Le royaume intermédiaire de l'imagination est approuvé par un consensus humain général; et toute personne qui souffre de privations en attend sédation et consolation. Mais pour les non-artistes, l'obtention d'un gain de plaisir à partir des sources de l'imagination est très limitée. L'inexorabilité de leurs refoulements les oblige à se contenter des maigres rêves diurnes qui ont encore le droit de devenir conscients. Si quelqu’un est un véritable artiste, il dispose d'un peu plus. Il s’entend, pour commencer, à élaborer ses rêves diurnes d'une manière telle qu'ils perdent les éléments trop personnels qui rebutent les étrangers et que les autres peuvent en jouir avec lui. Il sait aussi les atténuer et jusqu'au point où ils ne trahissent plus que difficilement leur provenance des sources prohibées. Il possède en outre l'énigmatique faculté de modeler un matériau déterminé jusqu'à ce qu'il devienne la reproduction fidèle de sa représentation imaginaire, et ensuite, il sait attacher à cette représentation de son fantasme inconscient un si grand gain de plaisir que, par elle, les refoulements peuvent être, au moins temporairement, surpassés et supprimés. S'il peut produire tout cela, il rend possible aux autres de puiser à nouveau consolation et sédation aux sources de plaisir, devenues inaccessibles, de leur propre inconscient, il gagne leur reconnaissance et leur admiration et voici qu'il a atteint par son imagination ce qu'en un premier temps, il n'avait atteint que dans son imagination : honneur, puissance et amour des femmes. »

1 In Conférences d’Introduction à la psychanalyse (1ère éd. Vienne 1916/17,) in « Les voies de la formation du symptôme » p. 477-78, dans Ed. Gallimard [1999, trad. de l’allemand par Fernand Cambon].

2 In présentation du « Le Regard qui bat…»

3 En train de devenir… ndlr