Psychose et haine xénophobe
Par Nabile Farès
"
Pouvons-nous supporter l'idée que le responsable des actes du 22 juillet
devrait être traité comme un patient et non comme un criminel ? Paradoxalement
les conclusions des psychiatres pourraient avoir l'effet de la pire punition
pour le terroriste lui-même. Le fait que sa mégalomanie et son projet grandiose
sont >>>> considérés comme des fantasmes psychotiques que seuls les
médecins peuvent traiter n'est pas destiné à réconforter son égo maladif.
" Ces propos d'Anders Giaever, éditorialiste au grand journal norvégien
" Verdens Gang " ne manquent
pas de rappeler que l'une des graves crises actuelles qui concernent le monde
dans lequel nous vivons est celle de la confusion psychique, historique, qui
est au coeur du passage à l'acte psychotique et de l'acte criminel.
En
suivant le titre d'un excellent livre d'Amin Maalouf, " Les identités
meurtrières ", on pourrait aussi bien parler aujourd'hui des "
Impunités meurtrières ", de la responsabilité du discours dans l'éducation
des générations, de la loi éthique, des représentations de la présence de
l'autre, le semblable, le prochain, du meurtre dans l'histoire et de son
impunité ravageante. L'anthropologie, l'histoire, contemporaines - les oeuvres
de Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss, Luc de Heush, Louis Dumont, Pierre Clastres, Robert Jaulin,
Jackie Assayag, Michel Wievorka, Christopher Taymor, Nathan Wechtel, Léon
Poliakov, George L. Mosse..., sont là
pour en témoigner - la psychanalyse - Freud, dans "Malaise dans la
civilisation", indique bien la violence et présence du meurtre, les
tentatives d'effacements, sidérations,
désarrois, que celles-ci provoquent, - ont insisté sur les effets et
conséquences symboliques, imaginaires, transgénérationelles, des discours idéologiques aux traces, racines,
symptômes, engouements cruels, encore
mythologiquement, pathologiquement, sacrificiels, comme si l'humanité avait beaucoup de
difficultés à sortir du piège, de la
marque et dette de sang, non plus de celles des dits " sauvages" mais
bien de celles des contemporains que nous sommes; et, Il s'agit bien, ici, dans les meurtres
commis par Anders Behring Brewin, de ce
que : tout discours peut être pris dans cette >>>> trame -
l'histoire du nazisme, entre autres, encore présente, des fascismes, le montre bien -, que ce soit le
discours à caractère philosophique,
théologique, esthétique, dogmatique, thérapeutique, médical,
pseudo-scientifique, architectural, et, en très bonne place, efficacité, le discours halluciné,
délirant, paranoïde, lorsqu'il devient
outrageusement sécuritaire et falscificateur,idéologique, et, politique, du
style, assez courant, banal, déformant, aujourd'hui, " Les racines de
l'Europe sont chrétiennes ...",
certes, ce qui permet d'effacer, à nouveau, que le Christ est né en un autre lieu que l'Europe, qu'il est
sémite, et, pas encore devenu chrétien,
juif, pas né à Berlin, Montreux, Genève, Paris,
Grenoble, Aix En Provence, Lyon, ou, aux Etats-Unis. Freud, Lacan, par exemple, et, quelques
autres avant eux, littéraires,
moralistes, romanciers, femmes et hommes de
théâtre, de Marguerite Yourcenar, Artaud, à Eschylle, ont bien mis en scène la toute puissance meurtrière de
l'illusion rédemptrice et vengeresse. Ce que dit, écrit, le " tueur d'Oslo
", de l'ile de Utoya, Anders
Behring Brewick, dont on commence à connaitre les copieux échantillons éloquents de croyance et
de perspective assez catastrophique, justement, plein d'enseignement, est de
cet ordre : il croit, il a cru, au discours rédempteur du fondamentalisme; discours qui peut s'emparer, se loger, intimement,
dans n'importe quelle croyance, dans
n'importe quel discours et, a fortiori,
principalement, dans le discours idéologique au pretexte religieux, qui, à chaque fois, lie son acte,
ses actes meurtriers à une anomalie catastrophique de l'identité présente de
soi, envahie, souillée par l'autre,
souillure très vite étendue à l'ensemble de
l'histoire et du temps, comme si le présent appartenait à un passé immédiat, à un futur intolérable, et,
demanderait, exigerait d'être "
redressé " - les fameux redressements révolutionnaires, type maoîste "révolution culturelle ",
boumedienniste, à moindre frais -
surtout si cela doit se faire d'une manière " cruelle et nécessaire
" sur le corps de son semblable le plus commun, le plus proche. Si le meurtre qui vient d'avoir lieu, a été
commis, sur la " scène" du monde, cette fois, n'existe pas pour celui
qui l'a accompli, c'est qu'il s'agit
bien d'un acte sacrificiel inavouable,
non dit, exercé à l'insu des personnes qui le subissent, pour leur
gouverne, histoire, éveil, futurs. La culpabilité peut, alors, être hors-champ,
exclue, comme dans toute relation
sacrificielle fondée sur le déni du meurtre. Reste l'acte fondamentaliste qui
témoigne, à son tour, d'un amour absolu
de l'histoire, pas de n'importe quelle histoire, mais, bien celle d'une
histoire en quête de purification toujours à renouveler, éternellement
temporelle, toujours souillée par la
trace d'une mère, d'un père, qui auraient été, seraient considérés, tous deux, contrairement à l'acte, souillés,étrangers. Croyance, foi, acte, déni, finissent par se
rencontrer et être confortés par ce qui,
depuis une trentaine d'années, c'est à dire,
une génération nouvelle, celle d' Anders Behring Brewick, est dit, prononcé,
prôné, promu, par des discours politiques,
parfois religieux, complètement meurtriers et irresponsables à propos des immigrés, étrangers, dits
sans-papiers, roms, musulmans, inexistants, relégués, africains... toutes
celles ceux qui auraient quelques grains
d'ailleurs, de provenances, de cultures, de
sentiments, de pensée à supposer, de peaux, différentes de celles et ceux qui seraient les élu/e/s de ce qui
s'est déjà appelé historiquement, "
la pureza de sangre", la pureté de sang, amour >>>> xénophobe
de soi intolérant au visage, comme l'exprime si bien Emmanuel Lévinas, au corps, à l'être,
existence semblable, proche, dite, autre.
Si, comme le fait remarquer, dans une chronique, opportunément, Esther Benbassa " il n'y
a pas d'antonyme au mot impunité ",
il existe un frein, un arrêt nécessaire à cette
impunité meurtrière et jalouse en ses manifestations. Une éthique, en ce
sens, nordique, dite par les paroles du maire d'Oslo, " Aucun cri de haine, aucun appel au lynchage, aucun
dérapage. Les gens ont transformé la
douleur en pouvoir, la colère en volonté de ne pas laisser un tueur détruire
notre société. Nous allons faire en sorte >>>> de donner sens à
notre malheur. Les norvégiens sont comme ça ils
ont toujours dans l'idée de construire un monde meilleur. ",
kierkegaardienne, en quelque sorte, qui relèverait, non pas de la falscification, satisfaction d'un meurtre
accompli, mais, de la connaissance, de
l'histoire instruite de la reconnaissance
démocratique, du droit, et non de la vengeance, de la dette, certes, spirituelle, envers le judaïsme, tout
comme la chrétienneté l'a récemment fait, l'islam, et, parce qu'il existe
de semblables valeurs dans d'autres
cultures que les cultures religieuses et
monothéistes, valeurs de solidarité, de construction de l'humain, de la cité, l'ensemble du
monde. L'amour de la xénophobie serait
alors un autre masque de la haine et de
ce que Freud a appelé, si justement, dans " Malaise dans la civilisation ",
avec beaucoup d'humour et, sans précipitation, tout en tenant compte de notre meurtrière
modernité," le narcissisme des
petites différences."
Nabile Farès
Écrivain, psychanalyste