Séminaire d’accueil et de formation - 22 juin 2006 - Intervention d’Eugène Perla - psychanalyste.« Le
Saint-Esprit est l’entrée du signifiant dans le monde » (Conférence
du 5 décembre 1956, Séminaire La Relation d’Objet, Jacques Lacan, p.48) (1). « Le
signifiant dans le réel, et il est introduit à partir du moment où simplement
l’on parle, ou, moins encore, à partir
du moment où simplement l’on compte » (Conférence du 20 mars 1957,
Séminaire La Relation D’Objet, J. Lacan) (2). « Le
trait d’esprit comporte toujours la notion d’une troisième personne »
(Conférence du 10 avril 1957, Séminaire La Relation d’Objet, Lacan, p.296) (3).« Le
caractère…dis rompant du jeu du signifiant par rapport à ce que l’on peut
appeler l’existence du réel » (ibid., p.294) (4).
Le signifiantChemama et
collab. (Dictionnaire de psychanalyse) le définissent comme élément du discours,
repérable au niveau conscient et inconscient, qui représente le sujet et le
détermine (5).Citons Lacan, le signifiant est ce
qui « représente un sujet pour un autre signifiant » (6).Le signifiant lacanien apparaît
d’emblée comme différent du moi imaginaire ; c’est un instant dans le
discours ; cela peut être pour un sujet n’importe quoi (n’importe quel
signifiant).La psychanalyse est une expérience de
la parole qui a une position particulière par rapport à l’affect, elle ne
l’évacue pas mais elle n’est pas simple catharsis émotionnelle.Les éléments constitutifs du langage
sont les signifiants.Dans les Etudes sur l’Hystérie de
Breuer et Freud (1895) (7), une des adresses d’Emmy Von N. à Freud est
« qu’il ne faut pas lui demander toujours d’où provient ceci ou cela mais
la laisser raconter ce qu’elle a à dire ». « C’est de pouvoir dire ce qu’elle n’a
jamais pu énoncer que l’hystérique guérit »(Chémama) (5). L’accent est mis
sur le dire mais qu’est-ce dire ? Cela questionne sur le statut de la
parole.Eh bien, la parole, c’est rare. Cela
n’a rien à voir avec parler… pour ne rien dire. Cela engage le sujet. C’est le
« parlêtre » lacanien. Il y va de la lettre et de l’Etre.Je souligne l’ambiguïté, pour le moins,
de « formules » du type « cela lui ferait du bien de
parler » ou encore le « non-dit ». La parole en psychanalyse se
rapproche plutôt de « A quoi ça sert de parler ? », « Où cela va me mener ? » ou
encore « Combien de temps cela va-t-il durer ? ». La résistance
est là parlante, inhérente à la question de la parole en psychanalyse (à
l’Inconscient), signalant la jouissance du symptôme en clinique. Le symptôme
vient à la place du verbe et disparaît lorsque le sujet a pu dire ce qui
l’affectait. Le terme de signifiant
est emprunté à la linguistique.Saussure
(1857-1913), contemporain de Freud,
introduit ce terme dans le cadre de sa théorie structurale de la
langue (Cours de linguistique générale,
1915).Pour Saussure le signe linguistique est
une entité psychique qui a deux faces : le signifié ou concept et le
signifiant qui est l’image acoustique du concept (9).Qu’est-ce qu’une image
acoustique ?Un exemple me semble éclairant, je le
tire du dictionnaire de psychanalyse de Chémama et collaborateurs (5) : un
homme homosexuel est attiré par des jeunes hommes d’un certain âge et style,
ceux qui désignent au mieux pour lui l’expression « les p’tits
soldats » ; l’analyse ramène le souvenir d’entente très grande avec
sa mère où au cours d’après-midi d’été après une longue promenade, elle
commandait au cafetier : « ah, disait-elle, pour lui, un petit
soda ». La façon dont cet homme nomme l’objet
de son désir, et donc en détermine le(s) trait(s) le renvoie à un signifiant
entendu dans l’enfance. « Un signifiant, c’est ce qui représente le sujet
pour un autre signifiant » (Lacan). Ce qui compte ici ce n’est pas la
signification en rapport avec la vie militaire par exemple, mais sa
signifiance, c'est-à-dire ce qui est directement produit par l’image acoustique
du mot lui-même : soda, soldat.Dans « Dick », exemple tiré de
« L’homme aux rats » de Freud, sur lequel on reviendra plus tard, ce
n’est pas le mot qui importe, c’est le signifiant, c'est-à-dire une séquence
acoustique qui peut prendre des sens différents.Toujours pour approcher la notion d’image
acoustique, à le dire différemment, le signifiant saussurien est la
représentation psychique du son tel que nos sens la perçoive, le signifié étant
le concept auquel il correspond.Prenons avec Chemama et coll. (5), Roudinesco
et Plon (10) comme signe linguistique, comme entité psychique, le
mot « arbre » ; le signifié désigne l’idée d’arbre et non
le référent l’arbre réel, le signifiant est une réalité psychique qui est la
représentation psychique du son (image acoustique) que l’on prononce à l’aide
de cinq phonèmes : a.r.b.r.e.. Le signe linguistique unit donc un concept,
un signifié à une image acoustique et non une chose à un nom.Le signe en linguistique Saussurienne fait
partie d’un système de valeurs. La valeur d’un signe se mesure à sa relation
avec tous les autres signes ; la présence simultanée dans la langue de
tous les signes est conçue comme la totalité synchronique (c’est-à-dire
structurale) de tous les signes qui s’y retrouvent.Différente de la valeur, la signification se
déduit du lien qui existe entre un signifiant et un signifié.Le modèle saussurien de la langue
(structuralisme linguistique) est à Lacan ce que le modèle darwinien de la
biologie (ou évolutionnisme) était à Freud (10). La « linguisterie »
de LacanLacan
reprend le terme de Saussure de signifiant comme un concept central de son
système de pensée, le signifiant devient en psychanalyse l’élément significatif
du discours ( conscient ou inconscient ) qui détermine les actes, les paroles
et la destinée d’un sujet à son insu et à la manière d’une nomination
symbolique. Lacan apporte une théorie de la détermination du sujet par le
signifiant.La notion lacanienne du sujet (du sujet du désir) emprunte à la fois à la
philosophie hégélienne (à laquelle Lacan a eu accès par l’enseignement
d’Alexandre Kojève, 1902-1968) et aux commentaires d’Alexandre Koyré
(1892-1964) sur le cogito cartésien (10).La théorie de Lacan du signifiant est
élaborée en deux temps (10).Entre 1949 et 1956, elle repose sur une
lecture des textes de Saussure consacrés au signe linguistique et ceux de
Claude Lévi-Strauss consacrés à la fonction symbolique ( le symbolique ), le
tout inscrit dans une problématique heideggérienne de la vérité ontologique. En
un deuxième temps, de 1956 à 1961, Lacan s’appuie sur les thèses de Roman
Jakobson (1896-1982) développées dans « Deux aspects du langage et deux
types d’aphasie » et « Essais de linguistique générale » à
propos des axes du langage pour donner un statut logique à la théorie du
signifiant. Il abandonne alors la référence à l’ontologie heideggérienne.Reprenons le « signe
linguistique » de Saussure. C’est une entité psychique a deux faces ;
le « signifié » ( s ) ou concept (par exemple si l’on pense au mot
« table », il s’agira de l’idée de
la table et non d’une table réelle) et le « signifiant » ( S )
qui s’analyse également en une entité psychique, puisqu’il va s’agir non pas du
son matériel que l’on produit en prononçant le mot « table »,
mais de l’image acoustique que provoque un tel son.Selon Saussure, le signe linguistique
est « arbitraire » (9) dans une langue donnée, c’est-à-dire qu’il
n’existe aucun rapport de nécessité entre s et S, si ce n’est ce qui fait
consensus dans un groupe parlant la même langue. Ce signe dans son arbitraire
est « immuable » quoique pouvant subir des altérations. Il a le
caractère d’être « linéaire », ce qui implique que les signifiants
s’agencent dans la langue en une suite que l’on appelle la « chaîne parlée »,
à laquelle Lacan donnera le nom de « chaîne signifiante ».Jakobson (10), dans
« Fundamentals of Language », qu’il publie avec Morris Halle à La
Haye, écrit un article intitulé : « Deux aspects du langage et
deux types d’aphasie », qui est repris en 1963 dans « Essais de linguistique
générale ». Dans cet article, Jakobson met en évidence la structure
bipolaire du langage grâce à laquelle l’être parlant effectue à son insu deux
type d’activité : l’un a trait à la similarité et porte sur la sélection
des paradigmes ou des « unités de langue », l’autre renvoie à la
contiguïté et concerne la combinaison syntagmatique de ces mêmes unités (le
syntagme est dans une phrase l’unité syntaxique élémentaire – groupe nominal, groupe verbal -). Dans l’activité de sélection, on préfère un mot à un autre, toque pour bonnet ou béret. Dans l’activité
de combinaison, on met au contraire, en relation deux mots qui forment une
continuité : pour décrire l’habillement d’un individu, on associe par
exemple le terme de jupe à celui de blouse, etc. A partir de là, Jacokson
montre que les troubles du langage consécutif à une aphasie privent l’individu
tantôt de l’activité de sélection, tantôt de celle de combinaison. Il montre
ensuite que l’activité sélective du langage n’est autre que l’exercice d’une
fonction métaphorique et que l’activité combinatoire
ressemble au procédé de la métonymie. Les troubles de la première empêchent le
recours à la métaphore, ceux de la deuxième interdisent l’activité métonymique.
Jacokson remarque que les deux procédés se retrouvent dans le fonctionnement du
rêve décrit par Freud. Il range le symbolisme dans l’activité métaphorique, la
condensation et le déplacement dans l’activité métonymique.En 1957 (le 9 mai 1957), Lacan, à partir de sa
lecture de « Fundamentals of
language » publié par Roman Jacokson et Morris Halle, ajoute dans sa conférence sur « L’instance de
la lettre dans l’inconscient » (11) deux éléments à sa théorie du
signifiant : la métaphore et la métonymie. Il reprend la
démonstration de Jacobson et transcrit autrement la conception freudienne du
travail du rêve. Si celui-ci (le travail du rêve) se caractérise par une
activité de transposition entre un contenu latent et un contenu manifeste
(L’interprétation des rêves), cette opération peut se traduire en terme linguistique
comme le glissement du signifié sous le signifiant.
Il existe alors deux versants de l’incidence du signifiant sur le
signifié : l’un est une condensation ou « surimposition des
signifiants » (mots valises, personnages composites), tandis que l’autre
ressemble à un « virement » de signification (la partie pour le tout
ou la contiguïté) et désigne son déplacement.Contrairement à Jacokson, Lacan assimile la
notion freudienne de condensation à une métaphore et le déplacement à une
métonymie.Trois formules décrivent selon Lacan
l’incidence du signifiant sur le signifié. La formule générale décrit la
fonction signifiante en partant de la barre de résistance à la signification.
La formule de la métonymie traduit la fonction de connexion des signifiants
entre eux, l’élision du signifié renvoyant à l’objet du désir qui manque dans
la chaîne (signifiante). La formule de la métaphore donne la clef d’une
fonction de substitution d’un signifiant à un autre, par laquelle le sujet est représenté.Cela permet de souligner avec Andrès (L’Apport
freudien de Kaufmann et coll.) (12) que le signifié du signifiant en
psychanalyse n’est pas un concept délimitable à l’intérieur du champs
linguistique proprement dit, il est le désir.La
conception freudienne, que la liberté est issue de la conscience de la
détermination inconsciente, que l’Inconscient gouverne le psychisme du sujet,
opère une première révolution, qui bien que résultant d’une démarche
cartésienne, logique, freudienne, ouvre sur une autre logique : celle de
l’inconscient, de ses lois (topiques freudiennes, principes de plaisir et de
réalité, processus primaire et secondaire, mécanismes de déplacement et
condensation). L’expérience freudienne heurte d’emblée
le « cogito », le « je pense donc je :suis », soulignant
son aspect illusionnant, introduisant le caractère et la portée
imaginaire de celui-ci. L’expérience freudienne ne peut pas ne pas poser
ontologiquement, par définition, la question de
la validité de sa proposition. Elle est déconstruction et entame symbolique
définitive du réel, même lorsqu’elle entraîne sa négation ; il y a un
avant et un après de la symbolisation freudienne. Seule la Science et c’est un
des enjeux de notre modernité lui dispute la place.Donc Lacan, avec le signifiant, avec son
signifiant, développe la conception freudienne qu’il fait sienne, le sujet est
mené par le bout du nez par le signifiant.A nouveau les êtres humains se posent la même
question de la validité, mais comme nous le savons ce n’est que de leur
conditions de « parlêtre » qu’ils peuvent se la poser : et la
Science (les théorie de la communication, la biologie ou la biochimie, etc.)
essaye d’expliquer, de démontrer, de faire correspondre. La Science, se
faisant, s’appuie sur le Symbolique (elle compte, mesure, etc.) mais ne veut
rien en savoir. Peu lui importe le « progrès de la vie de
l’esprit » (« L’homme Moïse et la religion monothéiste, Freud »
(13)) constitué par le monothéisme.L’expérience freudienne est celle de la
division, de la spaltung.Roudinesco et Plon cite Michel Foucault
(1926-1984) (10) qui résume ce que fut pour la génération 1950-1960 (Le
séminaire de Lacan «La relation d’objet » est de 1956) le passage
d’une philosophie de la liberté subjective à une conception structurale du sujet ;
Foucault écrit : « La nouveauté était la suivante : nous
découvrions que la philosophie et les sciences humaines vivaient sur une
conception très traditionnelle du sujet humain et qu’i ne suffisait pas de
dire, tantôt avec les uns, que le sujet était radicalement libre, tantôt avec
les autres, qu’il était déterminé par des conditions sociales. Nous découvrions
qu’il fallait chercher à libérer tout ce qui se cache
derrière l’emploi apparemment simple du pronom « je ». Le
sujet : une chose complexe, fragile, dont il est difficile de parler et
sans laquelle nous ne pouvons pas parler ». L’autonomie du
signifiant et la chaîne signifianteDonc Lacan
reprend en le transformant le concept saussurien de signifiant (sa
«linguisterie») (5). La psychanalyse lacanienne accentue l’autonomie du
signifiant. Comme dans la linguistique, le signifiant, au sens psychanalytique,
est détaché du référent mais également définissable hors de toute articulation
au moins dans un premier temps au signifié, ce qu’atteste le jeu sur les
phonèmes en deçà de toute intention de signifier de l’enfant. De même dans le
discours psychotique le signifiant n’a pas de véritable signification, il est
asémantique ; il s’impose dans l’hallucination au sujet ; il n’émane
pas de sa position subjective ; il est notable que le psychotique n’ait pas d’autres ressources que de le faire sien, de le revendiquer, de le
subjectiver ; il ne peut le
métaphoriser ni être métonymique ; il n’est pas soumis au lapsus, ni au
mot d’esprit ; il ne témoigne pas du sujet divisé ; il est objet de
constructions délirantes. Le signe linguistique est altéré par un « envahissement du signifiant » dit
Lacan dans le séminaire « Les psychoses » (1955-1956) (12).Saussure place le signifié sur le signifiant
et sépare les deux par une barre dite de signification (9) (10). Lacan inverse
cette position et met le signifié sous le signifiant auquel il attribue une
fonction primordiale : c’est le signifiant qui gouverne le discours
inconscient et non pas l’inverse.C’est l’algorithme lacanien S/s
(Signifiant /Signifié). Il y a une barre qui témoigne de l’existence
langagière de l’être humain. Elle témoigne qu’être parlant, l’homme ne sait pas
ce qu’il dit. La barre représente « la résistance à la signification », on
y retrouve l’idée freudienne de censure. Lacan écrit dans les
« Ecrits » que le signifiant va consister en « la structure
synchronique du matériel du langage » alors que le signifié le régit
« historiquement » (10).Chémama et coll. (5) donne l’exemple de
l’impulsion de maigrir qui prend l’homme aux rats de Freud,
le « dick » mot allemand qui signifie gros et qui est aussi le
nom du rival « Dick ». Non seulement le « parlêtre » ne
sait pas ce qu’il dit mais il est soumis au signifiant, ce qui n’est pas sans
effet. Ainsi comme le disait Saussure le signifiant a une valeur qui se mesure
à sa relation avec celle de tous les autres signes, toute signification renvoie
à une autre signification. La levée du refoulement peut permettre la résolution
du symptôme, « l’impulsion à maigrir » peut céder lorsqu’elle cesse d’être incompréhensible.Lacan déduit que le signifiant est isolé du
signifié comme une lettre, un trait ou un mot symbole dénué de signification
mais déterminant en tant que fonction pour le discours ou la destinée du sujet
(10). En effet, si le signifiant est conçu comme autonome par rapport à la
signification, il peut prendre dés lors une toute autre fonction que celle de
signifier : celle de représenter le sujet et aussi de le déterminer. Ce
sujet n’est pas assimilable au moi, c’est le « sujet de
l’inconscient », il est représenté par le signifiant, c’est-à-dire par la
lettre où se marque l’ancrage de
l’inconscient dans le langage. « Un signifiant représente le sujet pour un
autre signifiant » que je mets en correspondance avec le « Vo es war
sol ich verden », le « Là où le ça est, le moi doit advenir » freudien. On
perçoit, du fait de la structure de discontinuité du discours de l’inconscient
lié à celle du langage, la situation particulière du sujet de l’inconscient
d’aussitôt apparu aussitôt disparu. Le sujet est aussi représenté par une
chaîne de signifiants dans laquelle le plan de l’énoncé ne correspond au plan
de l’énonciation que par des « points de capiton ».Lacan nomme points de capiton le moment par
lequel, dans la chaîne, un signifiant se noue au signifié pour produire une
signification. C’est la seule opération qui arrête le glissement de la
signification en faisant se réunir ponctuellement les deux plans (10).Les signifiants s’associent et se répètent
hors de tout contrôle, ils s’ordonnent selon des chaînes rigoureusement
déterminées comme la grammaire détermine l’ordre de la phrase (5). La question
du signifiant renvoie à celle de la répétition : retour réglé
d’expressions, de séquences phonétiques, de simples lettres qui scandent la vie
du sujet, quitte à changer de sens à chacune de leurs occurrences, qui
insistent donc en dehors de toute signification définie. On pourrait donner
l’exemple du symbole représentant un V majuscule ou un chiffre V romain dans
l’homme aux loups de Freud.C’est dans son séminaire sur « La
Lettre volée » du 26/04/55 que Lacan illustre sa théorie du signifiant par
le commentaire d’un conte d’Edgar Poe
(1809-1849), « La Lettre volée » (14) (10). Le séminaire sur
« La Lettre volée », qui servira en 1966 d’ouverture aux
« Ecrits », témoigne de la manière dont Lacan est passé d’une théorie
de la fonction symbolique (de l’inconscient) empruntée à Lévi-Strauss à une
« logique » du signifiant. Selon Lacan une lettre arrive toujours à
destination parce que la lettre,
c’est-à-dire le signifiant, tel qu’il s’inscrit dans l’inconscient détermine
l’histoire du sujet, sa relation ou sa non relation à autrui. Aucun sujet n’est
le maître de la lettre (de son destin) et
s’il le croit il risque de se leurrer, telle est la leçon du conte d’Edgar Poe.
Remarquons que 1956, année de début du séminaire « La relation
d’objet » (début nov. 1956), apparaît comme une date pivot, charnière dans
la théorie lacanienne du signifiant.En 1975, Jacques Derrida, dans une conférence
intitulée « Le facteur de la vérité » commente cette théorie du
signifiant en critiquant la lecture faite par Lacan du conte d’Edgar Poe en
montrant qu’une lettre n’arrive pas aussi simplement à destination. Derrida
critique l’indivisibilité de la lettre
et le dogme lacanien de l’unité (10). Le signifiant et
l’AutreLe
signifiant est avant tout signifiant du manque dans l’Autre (nous fait
remarquer Andrès reprenant Lacan) (12).Un exemple des « Ecrits »
souligne la suprématie du signifiant et illustre cette position de S :
deux enfants dans un train entrant en gare ; les bâtiments des toilettes
sont visibles : « Tiens, dit le frère, on est à
Dames ! -Imbécile ! Répond la
sœur, tu ne vois pas qu’on est à Homme ». Lacan relatant cet exemple fait
remarquer que les enfants ne choisissent pas le signifié (isoloir) mais le
signifiant correspondant au sexe opposé ; il rapporte ce choix à la
castration et au trou du signifiant, celui-ci est la marque du manque dans
l’autre (11).L’Autre est le garant de la parole à
condition qu’il n’y est pas d’Autre de l’Autre puissant tenir lieu de
vérité ; il induira dès lors un écart entre un signifiant et autre
signifiant. Un signifiant S2 représente un signifiant S1 refoulé et S2 s’y est
substitué (12). La dimension d’acte du
signifiantLa conception lacanienne du
signifiant prend en compte la dimension d’acte qu’il y a dans le langage (5).
« Le signifiant n’a pas seulement un effet de sens. Il commande ou
pacifie, il endort ou réveille » (5). L’engagement dans la parole est un
acte, celui-ci se fonde sur un dire. Il y a un engagement du sujet dans la
langue par un acte d’énonciation, car le désir tel qu’il est déployé par l’articulation signifiante s’inscrit par
la négativité (12). Le signifiant et la
traceAndrès (12) écrit que la suprématie lacanienne du
signifiant sur le signifié met en avant deux dimensions : celle de l’écoute
(de l’entendre) et celle de la lecture qui sous-tend une idée d’inscription
minimale du sujet à un trait.Lacan dit dans le séminaire sur
l’Identification que le sujet « n’invente » le signifiant qu’à
partir de « quelque chose qui est
déjà là pour être lu » - la trace.
Le repérage d’une trace dans le sable consiste en une identification du sujet
un trait négatif qui fait coupure (avec l’objet qu’il est censé représenter)
sur « fond d’absence » (Freud, « Psychologie collective et
analyse du Moi ») que Freud aura désigné comme « identification
partielle extrêmement limitée, et n’empruntant qu’un seul trait » (Il y a
identification à un trait « unaire »).Trois temps sont indispensables à
l’engendrement d’un signifiant (12). Le premier consiste en un repérage d’une
trace dans le sable : est-elle un signe ? Pourquoi ? En relation
avec quoi ? Elle s’avère d’emblée provenir de l’Autre. Mais pour
l’approcher, il faut un deuxième temps, celui de la vocalisation et par là
cette trace acquiert un statut phonétique ; comme syllabe, elle va
nécessiter une articulation à une autre syllabe au moins pour marquer sa
différence ; pourtant il y a création de sens par l’homophonie ; ce
temps est celui de l’équivoque entre le son et le sens. D’où le besoin d’un
troisième temps, celui du retour sur
le premier pour engendrer le signifiant : trace de pas dans lequel le
signifiant « pas » transforme du même coup la trace de pas en lettre
qui barre et exclut la trace initiale, soit pas de trace : l’accueil de la
lettre s’offre dans la négativité. Signifiant, lettre et négation sont dès lors
fondamentalement à l’origine du sujet et ouvrent un chemin de sens qui lui
échappe Le signifiant et le
Saint-EspritDans sa
conférence du 5 décembre 1956 (15), Lacan dit : «C’est précisément pour
vous rappeler la présence du Saint- Esprit, laquelle est absolument essentielle au progrès de notre
compréhension de l’analyse, que je vous fais cette théorie du signifiant et du
signifié ».Lacan fait d’abord un détour par le
principe de réalité et le principe de plaisir freudiens. Il reprend
l’opposition freudienne processus primaire /processus secondaire : le
principe de plaisir est gouverné par le système primaire qui se caractérise par
sa tendance à revenir au repos (l’économie de l’appareil psychique) ; dans
le système de réalité du processus secondaire, le sujet est forcé de faire un
détour dans la réalité, l’énergie n’est plus libre elle est liée, elle est au
service du moi. Le principe de plaisir, le « lustprincip », présente
un paradoxe : « lust » a un sens ambigu en allemand que Freud
souligne dit Lacan, il désigne le plaisir et
l’envie, c’est-à-dire l’état de repos et l’érection du désir. Le principe de
réalité aussi présente un paradoxe, la réalité on s’y cogne mais elle a aussi
un contour, on y va faire un tour et un détour.Corrélativement à ces deux principes qui
régissent selon Freud le fonctionnement mental, Lacan fait intervenir les deux
termes qui les lient et permettent leur fonctionnement dialectique, à savoir
les deux niveaux de la parole qui s’expriment dans le signifiant et dans le
signifié. Lacan fait un schéma, celui des parallèles où il situe dans une sorte
de superposition parallèle le cours du signifiant, (ou du discours concret par
exemple), et le cours du signifié dans quoi et comme quoi se présente la
continuité du vécu, le flux des tendances chez un sujet, et entre les sujet.________________________ S Schéma
1________________________ s Il valide
ce schéma en disant que les phénomènes qui se présentent dans l’analyse, la
parole, le langage, obligent à admettre la possibilité essentielle de perpétuels
glissements du signifié sous le signifiant et l’inverse. Ce schéma indique que
ce qui est signifiant de quelque chose peut devenir signifiant d’autre chose,
et que tout ce qui se présente dans l’envie, la tendance, la libido du sujet,
est toujours marqué de l’empreinte du signifiant –ce qui n’exclut pas dit-il
qu’il y est peut-être autre chose dans la pulsion ou l’envie qui ne soit pas
marqué du signifiant. Le S est introduit dans le
mouvement naturel, dans le désir ; aussi peut-on dire que l’envie devient
du signifié (s).L’intervention du signifiant pose un problème.
D’où vient-il ? D’où le Saint-Esprit.Telle était la première ouverture que je vous
proposais, suite à ma lecture du
séminaire de Lacan « La relation d’objet ». Lacan dit qu’il en
a parlé au cours de l’avant-dernière année
pour indiquer ce que l’existence du Saint-Esprit était pour lui et ce
qu’il est dans la pensée et l’enseignement de Freud. Je n’ai pas retrouvé
mention de cela, si quelqu’un en a connaissance..D’abord tout simplement, quelle est la
définition du Saint-Esprit ?L’Encyclopédia Universalis (16) indique que
c’est l’Esprit de Dieu. C’est le « rouah » hébraïque de la première
page de la Bible, le souffle, l’âme : il « planait sur les
eaux » au commencement, lorsque « Dieu créa le ciel et la
terre » (Genèse, 1, 1-2). Il resurgit dans les toutes dernières lignes du
Nouveau Testament sous la désignation grecque de « pneuma », comme
celui qui oriente le regard et la prière de l’Eglise vers le retour du Christ à
la fin des temps : « L’Esprit et l’Epouse disent : Viens »
(Apocalypse, XXII, 17). C’est en Lui qu’est censée s’accomplir cette rencontre
de Dieu et des hommes qui est indissociablement révélation du mystère de Dieu et réalisation du salut du monde. En arabe, l’Esprit
Saint se dit « Arrouh » (âme).Reprenons cette phrase de Lacan que j’ai mise
en tête de mon exposé : « Le Saint-Esprit est l’entrée du signifiant
dans le monde ». Lacan dit ensuite : « C’est très certainement
ce que Freud nous a apporté sous le terme d’instinct de mort ». Autrement
dit, la pulsion de mort, c’est-à-dire une catégorie de pulsions qui s’oppose
aux pulsions de vie et tendent à la réduction complète des tensions,
c’est-à-dire ramener l’être vivant à l’état anorganique. Lacan dit que cette
limite du signifiant S n’est jamais atteinte par aucun être vivant. C’est
néanmoins quelque chose qui se trouve virtuellement à la limite de la réflexion de l’homme sur sa vie, qui lui permet d’entrevoir
la mort comme condition absolue, indépassable, de son existence comme le dit
Heidegger. Les rapports de l’homme avec S dans son ensemble, dit Lacan sont
très précisément liés à cette possibilité de suppression, de mise entre
parenthèses de tout ce qui est vécu (du s). Le fond de l’existence du S (qui reflète en quelque sorte ce que l’on
peut appeler le dernier mot du signifié, c’est-à-dire de la vie, du vécu, du
flux des émotions, du flux libidinal), de sa présence dans le monde, Lacan le met dans son schéma des parallèles ; c’est la mort en tant
qu’elle est le support, la base, l’opération du Saint-Esprit par laquelle S
existe. _____________________________ la mort_____________________________ S_____________________________ s Lacan se pose ensuite la question si S est ce
qui est désigné dans le « Es », le Ça freudien. Il répond :
« pour comprendre quoi ce soit à ce que nous faisons dans l’analyse il
faut répondre oui ». Le « Es » dont il s’agit dans l’analyse,
c’est du signifiant qui est là déjà dans le réel, du signifiant
incompris ; on pourrait dire incompréhensible.Dans l’expérience analytique, il y a du
signifiant déjà installé et déjà structuré ; le langage fonctionne. Depuis
qu’il y a des signifiants qui fonctionnent, les sujets sont organisés dans leur
psychisme par le jeu propre de ces signifiants. Ça fait scandale dit Lacan.L’instinct de mort dit Lacan n’est pas autre
chose que de nous apercevoir que la vie est improbable et complètement caduque
(Il suffit de penser à notre recherche
de la vie sur une autre planète que la nôtre). Lacan dit que l’existence du
signifiant est liée au fait que le discours existe et qu’il est introduit dans
le monde sur un fond qui est celui d’une certaine expérience de la mort. Il dit
que ce fond est plus ou moins connu ou méconnu. Remarquons qu’il n’existe pas
de représentation de la mort dans l’inconscient.De même que la mort est là reflétée au fond du
signifié, de même le signifiant emprunte toute une série d’éléments qui sont
liés à un terme profondément engagé dans le signifié, à savoir le corps. S
prend son matériel quelque part dans le signifié, dans un certain nombre de
rapports vivants effectivement exercés ou vécus. Les objets (oral, anal, etc..)
sont déjà travaillés par le signifiant.Reste à élaborer un travail pour les deux
autres ouvertures à propos du signifiant que je vous ai proposées pour ce
séminaire. Je voudrais avant de m’arrêter ici faire deux remarques : la
première, il n’y a pas dans « Le Vocabulaire de la Psychanalyse » de
Laplanche et Pontalis d’article « Signifiant », de définition du
signifiant ; la deuxième, il y a des analyste qui ne reconnaissent pas la
pulsion de mort, l’instinct de mort. Ces deux remarques ne sont pas sans
conséquences et indiquent pour le moins une résistance à la psychanalyse
freudo-lacanienne, une résistance au signifiant.
Eugène Perla
Bibliographie(1)
Lacan (J.)Le
séminaire, livre IV.La
relation d’objet, 5 décembre 1956.Le
Seuil, Paris (Fr.), 1978, p. 48.(2)
Lacan (J.)Le
séminaire, livre IV.La
relation d’objet, 20 mars 1957.Le
Seuil, Paris (Fr.), 1978, p. 234.(3)
Lacan (J.)Le
séminaire, livre IV.La
relation d’objet, 10 avril 1957.Le
Seuil, Paris (Fr.), 1978, p. 296.(4)
Lacan (J.)Le
séminaire, livre IV.La
relation d’objet, 10 avril 1957.Le
Seuil, Paris (Fr.), 1978, p. 294.(5)
Chemama et coll.Article
signifiant.Dictionnaire
de la psychanalyse.Larousse,
Paris (Fr.), 1993, p.p. 265-268.(6)
Lacan (J.)Ecrits II, Position de
l’inconscient au congrès de Bonneval, reprise de 1960 en 1964.Le Seuil, coll.
« Points », Paris (Fr.), 1971, p. 206.(7) Freud (S.)Etudes sur l’hystérie .Mme Emmy Von N.P.U.F., Paris (Fr.), 1978,
p. 48.(8) Freud (S.).Etudes sur l’hystérie.Mademoiselle Anna O.P.U.F, Paris (Fr.), 1979,
p. 21.(9) Saussure (F.)Cours de linguistique
générale.Payot, Paris (Fr.), 1972, p.p. 99-101, p.p. 158-162.(10) Roudinesco (E.) et
Plon (M.)Article signifiant.Dictionnaire de la
psychanalyse.Fayard, Paris (Fr.), 1997, p.p. 983-987.(11) Lacan (J).Ecrits I.L’instance de la lettre
dans l’inconscient ou la raison depuis Freud.Le Seuil, coll.
« points », Paris (Fr.), 1971, p.p. 249-289.(12) Andrés (M.).Article signifiant.In l’apport freudien.Sous la direction de
Kaufman (P.)Bordas, Paris (Fr.),
1993, p.p. 394-395.(13) Freud (S.).L’homme Moïse et la
religion monothéïste.Gallimard, Paris (Fr.), 1986, p. 233.(14) Lacan (J.).Ecrits I.Le séminaire sur « La
Lettre volée ».Le Seuil, coll.
« points », Paris (Fr.), 1971, p.p. 20-75.(15) Lacan (J.).Le séminaire, livre IV.La relation d’objet, 5
décembre 1956.Le Seuil, Paris (Fr.),
1978, p.p. 41-57.(16) Encyclopædia
Universalis.Version 2006, 11.Doré (J.), Goulet (R.).Article Saint-Esprit. |