De quel écho se fait "lalangue"Par Nabile FarèsMazara Del Vallo - Avril 2009
" C'est
parce qu'il y a l'inconscient, à savoir lalangue, en tant que c'est de
cohabiter avec elle que se définit un être appelé l'être parlant, que le
signifiant peut être appelé à faire signe. Entendez ce " signe" comme
il vous plaira, y compris comme le "thing" de l'anglais, la
chose."
J.
Lacan, séminaire " Encore."
1. Une autre topique,
la séance du 4 novembre 1971 du séminaire de Lacan " Le savoir du
psychanalyste."Au-delà
du « meurtre du père », du mythe freudien du chef de horde et de la
frérocité, de quel écho se ferait " lalangue ", terme et
invention d'écriture originale de Lacan à la première séance du séminaire de
1971, à St Anne, - ce qui n'est pas rien, après une longue absence dans ces
lieux : " Le savoir du psychanalyste." Et, le moment, l'instant où
Lacan invente ce mot de " lalangue" mérite d'être retranscrit, (1)
pour autant que cette invention de "lalangue", mot de passe nouveau ?
schibboleth autre? ouverture à une réinvention topique telle que se plait à
l'écrire et le proposer Colette Soler dans son
plus récent texte " Lacan, l'inconscient réinventé "(2) ?Cette trouvaille, Lacan l'a faite au début de
la première séance du 4 novembre 1971 à partir d'un trait d'esprit, d'un
glissement de sens qui touche aussi bien au signifiant phonème " l"
et"g" qu' à un double signifié qui concerne un dictionnaire qui
serait de la langue, un autre dictionnaire, celui de Lalande, et aussi les deux
co-auteurs de ce qui ne se présente pas comme un " dictionnaire de la
psychanalyse", mais comme " vocabulaire de la psychanalyse".On comprend, alors, qu'il s'agit d'une
reprise, en sens, par Lacan, de ce qui est, d'une part, devenu doctrinal et
aphoristique, " l'inconscient est structuré comme un langage",
d'autre part, la découverte et les écrits de Freud, à partir de " La
signifiance du rêve", du " Trait d'esprit et ses rapports avec
l'inconscient", "Psychopathologie de la vie au jour le jour",
ces trois textes où la mise en instance du langage, de l'inconscient et du
désir est assez manifeste pour être restée longtemps inaperçue jusqu'à cette
reprise par Lacan de ce qui serait un
savoir du psychanalyste comme ignorance du langage et, cette fois, plus
précisément, de " lalangue", invention de parole et d'écriture dont
témoigne bien ce moment de jubilation - nous y reviendrons - de Lacan lorsqu'il
rappelle, là, à St Anne, pour lui-même et l'auditoire, le temps "
historique" de l'invention de l'aphorisme " l'inconscient est
structuré comme un langage" qui inaugure sa réinvention des approches
conceptuelles et pratiques de la cure, de la psychanalyse : " Enfin, dit
Lacan, ce début de séance, 10 ans avant, on avait fait une autre trouvaille -
Lacan met au compte de plusieurs, à St Anne, du
temps de Henry Ey, cette trouvaille et invention - qui n'était pas mauvaise non
plus, à l'endroit de ce qu'il faut bien que j'appelle mon discours - Je l'avais
commencé en disant que l'inconscient
était structuré comme un langage. On avait trouvé un chemin formidable : les deux
types les mieux qui auraient pu travaillé dans cette trace, filer ce fil, on
leur avait donné un très joli travail " Vocabulaire de la
philosophie" qu'est-ce-que je dis " Vocabulaire de la psychana-
lyse" vous voyez le lapsus - Lacan dit bien voir en place d'entendre - hein ? Enfin ça vaut Lalande. "Lalangue", comme
je l'écris maintenant. J'ai pas le tableau noir. Ben, écrivez lalangue en
un seul mot, c'est comme ça que je
l'écrirai désormais... Vous voyez comme ils sont cultivés !... Alors on
n'entend rien ! C'est l'acoustique ? Vous voulez bien faire la correction ? Ce
n'est pas un "d", c'est un "g"... Je n'ai pas dit que
" l'inconscient est structuré comme Lalande", mais bien
"structuré comme un langage", et j'y reviendrai tout à
l'heure..."(3)On aura remarqué les glissements de sens à
travers les changements de phonèmes, selon une chaîne humoristique, jeu,
jubilation, du terme " cultivés", la langue, Lalande, le nom propre,
le dictionnaire, la psychanalyse, la philosophie, le vocabulaire, et si on est
" cultivé"," le veau qu'à bu l'air" pour l'écrire à la
Raymond Queneau.Autrement dit, ce à quoi se réfère Lacan à
travers lalangue, en un seul mot, c'est à une place et un jeu poétique de
lalangue, ce babil antérieur à la fixation du mot et du sens, du phonème et de
sa prise fixe en un mot, c'est à dire ce jeu de lalangue - en français organe
et " idiome", - ce babil antérieur au collage aliéné-aliénant de la
désignation, de l'appellation, de l'être-dans-la-langue, du parlêtre, ce babil
avant l'entrée dans la violence symbolique des signifiants, la perte du jeu, de
la présence du jeu d'élangues
(4), de la langue / en deux mots, celle-ci venant interrompre cette naissance
originaire, dans la langue, de lalangue;"Mais quand on l'a lancé, - il s'agit
toujours du même aphorisme " l'inconscient est structuré comme un
langage" - les respondifs, poursuit Lacan, dont je parlais tout à l'heure
sur " Le vocabulaire de la psychanalyse", c'est évidemment que
j'avais mis à jour ce terme de Saussure : la langue - en deux mots- que, je le
répète, j'écrirai désormais en un seul mot. Et je justifierai pourquoi. Eh
bien, lalangue - au contraire de Lalande - n'a rien à faire avec un
dictionnaire quelqu'il soit." (5)"Lalangue", ce nouveau concept
avancé, forgé, créé, à partir, non pas du rêve, d'un rêve, mais du lapsus, d'un
lapsus dit, écrit par Lacan, est à rebours de tout dictat déployé, imposé de et
par la langue; à rebours de tout système totalisant, totalisateur, totalitaire,
à rebours et en garde de ce que peut effectuer une langue devenue alors la
langue : celle de l'esprit, du corps, du déchet, du dictat, de la réalisation
effective d'une désignation, se conformant à une politique identitaire,
totalitaire de la fixité du langage, que l'on peut dire, paradoxalement, politique
totalitaire de la différenciation. 2. Nouvelle topique et
politique"Politique
totalitaire" voudrait dire que ce qui fait partie de la structure et
structuration psychique peut servir à la totalisation, à l'invective, à une
apostrophe et vocifération totalitaire de lalangue en une langue totalitaire,
usurpation, tentation dont Lacan, à ce moment de son argumentation, bien que
rapidement, souligne, précisément, le glissement et retournement en son
contraire : " Le dictionnaire a affaire avec la diction, c'est à dire avec
la poésie, avec la réthorique, par exemple" - Lacan aurait pu dire, la
fixité, la fixation de sens, la chosification, la réification - " C'est
pas rien, hein ? Ca va de l'invention,
poursuit-il, à la persuasion, enfin, c'est important !" (6)Et, comment et où se manifesterait cet "
important" ? Si ce n'est du coté de
ce que Lacan appellera tout de suite après ces phrases : " le versant
utile » pour des psychanalystes.Ce "versant utile " étant spécifié
comme étant celui d'une logique inscrite dans ce palais fictionnel de "
lalangue."On peut mettre, alors, en relation ce savoir
insu de lalangue, d'une part avec la répétition, d'autre part avec ce qui va
être énoncé comme autre concept majeur de cette topique nouvelle d'un "
sans-sujet de l'inconscient"( 7), instance, lieu où se dissout le sujet de
l'inconscient : " là jouï- sens
", comme, auparavant, on pouvait écrire :" tu es cela"." Lalangue poiçon jouissance, cela serait
jouir d'une structure de fiction. Autre
formulation de S barré poinçon petit a : " Où est-ce que ça gîte, la
jouissance ?", poursuit Lacan - phrase que l'on pourrait écrire ainsi : où
est-ce que s'agite, la jouissance ?
Formule qui ferait écho à cette formulation de Freud à la fin de la
31°conférence : " là où s'était, le je doit advenir", (8) que l'on écrirait : " là où était la
jouissance, le Je - un sujet - devrait advenir
", non pas " devenir" mais ad-venir, venir à cette place,
une place dont la virgule écrite déjà dans la phrase de Freud marque bien la naissance
en et à un autre lieu topique du sens, d'un sens
qui ne serait plus simplement jouissement inscrit, mais, écart vis à vis de ce
moment que l'on dira structural, toujours là, sous-jacent à toute parole dite,
corporellement prise, dite."Où est-ce que ça gîte, la jouissance ?
Qu'est-ce qu'il y faut ? précise Lacan, un corps. Pour jouir il faut un
corps. »On ajoutera : corps de soi et corps de l'autre
semblable inscrit dans une même jouissance mortelle : " Pourquoi ? insiste
Lacan. Parce que la dimension de la jouissance pour le corps c'est la dimension
de la descente vers la mort."Ce dont il faudrait " revenir",
" remonter", " advenir", tout comme dans le texte de
Dante(9) "La dimension dont l'être parlant se
distingue de l'animal, c'est assurément qu'il y a en lui cette béance par où il
se perdait, par où il lui est permis d'opérer sur le ou les corps, que se soit
le sien ou celui de ses semblables, ou celui des animaux qui l'entourent, pour
en faire surgir, à leur ou à son bénéfice, ce qui s'appelle à proprement parler
la jouissance. » (10)Structure de fiction - ce qui plaira toujours,
en quelque que sens que se soit, merveilleux-fantastique-; sadique-masochiste;
pervers-névrotique; meurtrier-mélancolique - et habillage, maquillage,
déviation, retournement, emprunt, prise totalitaire de ce moment structural,
instance, trait constituant de " lalangue" permettent de saisir en
quoi, à la place d'un sujet singulier à l'écart d'une connotation collective de
la jouissance, vient émerger, d'une façon irruptive et paradoxalement sectaire,
un désir de masse et un désir des masses; ce qui ferait aussi écho à cette
phrase de Freud, extraite du « Malaise dans la culture » :
« Ce qui fut commencé avec le père
s’achève avec la masse. »A travers le principe de jouissance,
d'appartenance à cette jouissance, mort suicidaire de soi et de l'autre,
s'écrit le trait unaire d'un légitimité construite et meurtrière. On aurait,
ainsi, une approche, après-coup - dérisoirement et historiquement après-coup -
des catastrophes et vociférations contemporaines qui s'inscrit dans le
glissement et retournement, forclusion, dira-t-on, de "lalangue", du
plaisir d'une articulation-jubilation encore in-signifiante de la langue, en
deux mots et une seule réalisation, réel d'une langue, d'un désir de mort,
quelqu'il soit, mayas, pharaonique, incas, inquisitorial, ecclésiale, nazi,
totalitaire, islamiste, orthodoxe, etc..., comme si la psyché
était encore hantée, prise, dépendante d'une origine meurtrière, sacrificielle,
incarnée, du sens, pour autant que, et, à suivre Lacan dans ce séminaire et
séance du 4 novembre 1971 : " Il n'y a de jouissance que de mourir."
(11) 3. « Meurtre » et
« Jouï-Sens ».Au
moment de la passe se ferait le passage de l’énergétique pulsionnelle
freudienne à une topique lacanienne de lalangue tel que l'aurait donné à penser
Lacan lors du séminaire de 1971 : " Le savoir du psychanalyste";
inscription de l’énergétique pulsionnelle dans lalangue, auquel lalangue a fait
écho, ferait écho, que nous, psychanalystes et quelques-autres,
entendrions ?Pour un sujet de l’inconscient qu’est
ce qui serait arrivé à lalangue, à ce lieu d’inscription primordial pris dans
la vocifération, la propagande et le goût du meurtre, les jouissances
occasionnées, diffusées, dites, adressées par le meurtre désigné, socialement
désigné, effectué, administré, envisagé, programmé, dans "une"
langue , par " une" langue devenue " une", cette
fois entendue, écoutée à la radio, dans des discours, dans les télévisions...
lalangue devenue, cette fois, langue qui tue, celle qui fut, par exemple
allemande et dont le champ fut restreint, par le meurtre, « à cette
langue du III° Reich, " comme l’a décrite Klemperer, langue- culte, la langue allemande aplatie devenue celle des nazis, «
langue nazie », la langue française, devenue « langue de
Vichy », autre exemple, la langue dite arabe devenue « langue des
prédicateurs », langue au champ restreint de la déformation et de
l’assassinat, la langue devenue meurtrière par « la radio des Sept
collines » au Rwanda...Qu’est-ce que les prédicateurs du meurtre, de
l’assassinat nous font entendre de cette pulsion meurtrière dans la langue, de
la langue, de son autoritarisme surmoïque de forclusion, de mort réelle
adressée, de toute-puissance aveugle, sans épargne, pure énergie, expansion de
la dépense dans la vocifération et le prédicatif détruisant toute
altérité ?Le meurtre de la mère, de la femme, le meurtre
de la naissance, le meurtre de la mort, du mortel, accompli dans le meurtre, la
tuerie, ailleurs le découpage, l’impossible réel ?Qu’est-ce que cet impossible de lalangue et de
la psychée ?Enigme de la violence énergétique pulsionnelle
du psychique qui nous rapporterait à la césure archaïque, et, cette fois, au
mythe freudien de la naissance de la psyché, mythe présent et écrit par Freud
dans « Vue » – insistera-t-on sur ce terme, si vivement spéculatif de
« vue » - « Vue d’ensemble des névroses de transfert, essai métapsychologique »,
(11) dont la métaphore poétique, imaginale, créatrice de pensée, n’est plus
archéologique ou biologique, ni psychologique, mais géologique, nous donnant à
penser, comme le fait le mythe, la pensée mythique au voisinage du commencement,
le passage, en termes grecs, de la « phusis » à "la psyché ", en leur vis-à-vis et transfert, de la
non-représentation au son, à la re-présentation psychique, de la pure expansion
énergétique, de nouveau, à la pure dépense, sans représentation, sans autre,
sans une altérité humanisante, sans ce qui, de Freud, a été l'invention : la
naissance à l'inconscient. (12).Vociférations, places publiques, discours
tonitruants qui se font de plus en plus entendre, pour ne pas rester tapis dans
la prison, ségrégation intime, par Hauts-Parleurs, faisant irruption, donnant à
entendre une brutalité dans lalangue, brutalité qui construit et agit les
fantasmes de démembrement et morcellements appliqués, cette fois, à l’autre
voisin, différencié, l’autrui fantomatisé, origine de la césure et de la
castration, accomplissant sans recours, sans remord, une haine du féminin, du masculin, de la parole et du corps
présent, démembré, détaché, rejeté, exclu de la vie, déjeté..Ce que nous aurait déjà dit Freud dans "
Malaise dans la civilisation" à propos du non-renoncement pulsionnel et de
" la violence brute." (13), de la guerre et de la mort, dès l'année
1915, dans ses conférences au Bnaï Brith de Vienne.En ce sens, la trouvaille, le concept inventé
par Lacan, « Lalangue » répondrait au questionnement et énigme à
résoudre, ce 3° inconscient, qui ne serait ni « le refoulé » ni
« le latent », dont parle Freud au tout début de cette seconde
topique « Le moi et le ça » à l’article « conscience et
inconscient », où il écrit ceci : « Nous trouvant dans la
nécessité de poser l’existence d’un troisième inconscient, un Ics non refoulé,
nous devons admettre que le caractère d’être inconscient perd pour nous de son
importance. Il devient une qualité aux significations multiples, ne permettant
pas, comme nous l’aurions fait
volontiers, d’en tirer des conséquences étendues et exclusives. Nous devons
pourtant nous garder de le négliger, car, enfin de compte, la propriété :
conscient ou non, et notre unique fanal dans les ténèbres de la psychologie des
profondeurs. » (14)Si, en des termes anciens, des «
choses » nouvelles sont dites, que nous faut-il, aujourd’hui,
penser : « That is the question » ? ou, comme
Bartleby, « I prefer non to ».
Nabile Farès,
psychanalyste, Paris Notes: 1. J.Lacan , séminaire, " le savoir du psychanalyste." 2. C. Soler " Lacan, l'inconscient réinventé " ed. puf, paris, 2009. 3. " le savoir..." 4. Sandrine Mallem " L'élangue " revue Che Vuoi, n°16, 2006 5."Le savoir..." 6. " " 7. C. Soler, p.48-50. 8. Freud. " Vue d'ensemble sur les névroses de transfert", paris, gallimard. 9. Dante, « La divine comédie. » 10." Le savoir...", à ce sujet, la note 13, « Malaise dans la culture. » 11. " " 12. Freud, " Vue d'ensemble.." p. 13. Freud " Malaise dans la civilisation", puf, paris, p.38-39, et, pour la citation, p. 76. 14. Freud « Me moi et le ça » in « Essais de psychanalyse », puf, p.229. Résumé : « Lalangue », terme inventé par Lacan, le 04-11-1971, séminaire « Le Savoir du psychanalyste » serait à l’origine d’une topique nouvelle qui prendrait en compte ce moment structural d’ouverture aux langues et au langage pour le parlêtre : « lalangue », antériorité logique au dit « stade du miroir » constituant le parlêtre en un autre temps et lieu que celui de l’image, inscrivant, ainsi, le sujet de l’inconscient dans une histoire symbolique et symptomatique des langues et de la psyché. Double lecture de Lacan et de Freud, à propos de l’inconscient, du meurtre du père, de la jouissance, du devenir politique de « lalangue ».
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